« Mais ce que tu es doué ! Qu’il est intelligent ! », des paroles dites avec les meilleures intentions du monde par des adultes soucieux de valoriser un enfant face à une tâche ou une action réussie. Rien à redire à cela de prime abord… L’enfant est valorisé et tout le monde sait que c’est important, pour se construire, pour grandir, pour avoir confiance en soi, en la personne que l’on est maintenant et celle que l’on sera plus tard. Cependant, de telles paroles ne sont pas anodines, si l’on y réfléchit bien. En mentionnant explicitement l’intelligence de l’enfant, on laisse entendre qu’il a ce qu’il faut pour réussir, cet inéluctable talent et un potentiel largement hérité, qu’il ira certainement « loin dans la vie », comme le dit l’expression consacrée. On mentionne des traits supposés fixes, des capacités intrinsèques et perçues comme innées, on valorise la personne propre, ce qu’elle est et ce qu’elle a « reçu ».
Face à la même réussite ou action d’un enfant, d’autres personnes (ou les mêmes personnes à d’autres moments !) pourraient s’exclamer : « Bravo pour ton travail ! Bravo pour le temps investi pour arriver à ce résultat, tu peux être fier de toi ». C’est aussi une manière de valoriser l’enfant, et pourtant cela ne sonne pas tout à fait pareil. Il y a en arrière-fond l’idée que le travail, l’exercice et la persévérance c’est important, que l’on peut y arriver, surtout si l’on s’en donne les moyens et que l’on met en place certaines stratégies. Cela fait davantage référence à la notion d’efforts et aux actions entreprises. Cela renvoie davantage au fait que tout le monde peut potentiellement développer des talents.
Ainsi amenées dans ce billet de blog, on se doute que ces deux manières de valoriser l’enfant n’ont pas le même impact. Faut-il valoriser l’intelligence ou le travail pour renforcer la confiance en soi de l’enfant ? Plusieurs études ont montré que les croyances que nous avons à propos du fait que nos aptitudes sont plutôt fixes ou non ont une importance capitale sur notre motivation et nos comportements. Pour évoquer cela, les chercheurs parlent d’état d’esprit fixe ou d’état d’esprit de croissance, au sens d’un système de croyance que l’on privilégie. Bien entendu, les choses ne sont pas noires ou blanches et il s’agit d’une tendance : on adopte plus ou moins souvent un état d’esprit fixe ou de croissance.
Pour mieux comprendre comment ces croyances et comportements se développent et se construisent, une équipe de chercheurs américains dirigée par Elizabeth Gunderson a observé pendant plusieurs séances des parents dans leurs interactions avec leurs enfants de 1 à 3 ans confrontés à différentes tâches. Les chercheurs ont ensuite revu les mêmes enfants à l’âge de 7 ou 8 ans et les ont questionné sur l’apprentissage, l’intelligence et leur goût de se donner des défis. Ils sont arrivés à la conclusion que les enfants qui avaient été davantage renforcés concernant leur intelligence et leurs capacités innées avaient davantage un état d’esprit que l’on peut qualifier de fixe.
Valoriser l’intelligence renforce la confiance en soi de l’enfant, certes, mais à court terme. Aussi, les personnes pourvues d’un tel état d’esprit fixe ont tendance à abandonner plus rapidement dès qu’elles n’arrivent pas à faire quelque chose, pensant qu’elles n’ont pas les aptitudes nécessaires. Elles ont aussi tendance à vivre très mal les échecs, les associant à un manque de talent ou d’intelligence. Car l’enjeu est bien là : comment l’enfant et plus tard le jeune puis l’adulte qu’il sera vivra-t-il les échecs ? Se dira-t-il qu’il n’est pas assez intelligent pour faire telle formation, entamer telle procédure, se mettre à son compte, etc ? Valoriser le travail et l’effort, et donc renforcer l’état d’esprit de croissance, incite l’enfant à se lancer des défis, à développer des stratégies, et surtout à persister lorsqu’une tâche devient difficile, plutôt que d’abandonner et de passer à autre chose. Il s’agit d’une véritable perspective développementale, et voilà tout son intérêt. La difficulté peut alors même être perçue comme stimulante, rendant l’apprentissage passionnant : il faut se creuser les méninges, ce sont ces défis qui font que l’on est fier de soi, il faut chercher et chercher encore, voire se surpasser.
On l’aura compris, pour réellement renforcer la confiance en soi et en ses capacités de l’enfant sur le long terme, il faudrait idéalement favoriser un état d’esprit de croissance. Mais ceci nous renvoie alors à nous les adultes. Quelles croyances avons-nous intériorisées pour nous-mêmes ? Quels sont les encouragements que nous avons reçus en tant qu’enfant, par nos parents et à l’école ? Etaient-ils essentiellement basés sur un état d’esprit fixe ou plus malléable ? Qu’en avons-nous fait depuis, pour nous-même d’abord ? Si l’on travaille en tant qu’adulte dans le milieu scolaire, il s’agit aussi de considérer les processus, et non seulement les résultats. Car inévitablement se pose la question des notes à l’école, encore souvent données en fonction du résultat obtenu…
Je nous invite à être attentifs à nos réactions face aux réussites et aux échecs des enfants, et aussi face à nos propres réussites ou échecs !!… et ceci surtout si comme moi on est de base un pur produit de l’état d’esprit fixe !!
Référence :
Gunderson, E., Gripshover, S., Romero, C., Dweck, C., goldin-Meadow, S & Levine, S. (2013). Parent praise to 1-to3-year-olds predicts children’s motivational frameworks 5 years later. Child Development, 84(5), 1526-1541.
Commentaires