T’inquiète pas, ça va aller…

Par Isabelle Noël

Voilà une phrase que l’on entend souvent, de la part de parents à leurs enfants, de la part d’adultes à leur conjoint, de la part d’enseignants à leurs élèves. Pas…

Voilà une phrase que l’on entend souvent, de la part de parents à leurs enfants, de la part d’adultes à leur conjoint, de la part d’enseignants à leurs élèves. Pas plus tard que la semaine dernière, j’entendais une maman la dire à sa fille soucieuse de débuter le Cycle d’Orientation. C’est peut-être la phrase qui nous vient le plus naturellement, face à une personne nous faisant part de son désarroi ou exprimant de l’appréhension… Foncièrement, je trouve qu’il y a quelque chose de beau dans cette affirmation et cette invitation à la confiance : t’inquiète pas, tout va bien se passer. Il y a un côté doux, posé, rassurant, bienveillant, et force est de constater que souvent la personne qui le dit en est intimement persuadée : oui, cela va certainement bien se passer et il n’y a pas de quoi s’inquiéter. Même prononcée avec les meilleures intentions du monde, je nous invite à observer un instant cette affirmation et ses effets :  Que faisons-nous lorsque nous voulons rassurer l’autre, que nous affirmons que tout va aller pour le mieux, alors que la personne en face en doute ou semble persuadée du contraire ? Et au fond, suffit-il de ne pas s’inquiéter pour que la peur disparaisse ?

Car sur le fond, cela a foncièrement du sens. Effectivement, il faudrait ne pas s’inquiéter car 1) cela ne change rien, et 2) cela ne fait qu’empirer les choses si la situation est déjà compliquée. C’est l’idée de « la deuxième flèche » : il y a déjà un événement compliqué en soi et/ou pour soi, et on en rajoute une couche en s’inquiétant, en ayant peur de ce qui va ou pourrait se passer, alors que cela ne s’est pas encore passé. Car en effet, force est de constater que nous avons souvent peur de choses qui ne sont pas encore arrivées, mais qui pourraient potentiellement arriver, comme le fait d’échouer à un examen, de tomber malade, que l’avion s’écrase, que l’on se retrouve seul à la récré car on n’est plus dans la même école que son meilleur copain, etc, etc. Il y a aussi toutes ces peurs plus « classiques » des enfants : peur du noir et de dormir tout seul, peur d’aller chez le médecin, de partir en colonie… L’appréhension de certaines situations est parfois nourrie par des peurs plus viscérales comme la peur de manquer de quelque chose, de ne pas être aimé, de se retrouver seul, d’être abandonné, ces peurs que l’on trimballe parfois toute sa vie et dont on peine à se libérer… Le catalogue des peurs est sans fin et je pourrais continuer l’énumération à l’infini, les peurs vécues, entendues, partagées par des ami-e-s, des élèves, des enfants, des parents, observées autour de moi. A croire que la peur est partout. Et surtout ne pas enclencher le téléviseur le soir, car alors la peur surgira forcément face aux nouvelles rarement réjouissantes.

Lorsqu’un enfant a peur, quelles sont les réactions de l’adulte ? L’adulte se donne souvent comme mission de rassurer, de protéger et encourager l’enfant et c’est bien normal. Il est en quelque sorte là pour ça. Mais protéger et rassurer en disant « ça va aller, ne t’inquiète pas », est-ce que cela soutient véritablement l’enfant ? Rappelons qu’il est tout à fait normal qu’un enfant soit inquiet de passer dans le cycle supérieur ou de partir en voyage scolaire : la nouveauté engendre la peur et donne lieu à des projections et scénarios qui peuvent générer des peurs, voire des angoisses. Le problème avec cette fameuse phrase qui se veut positive et persuasive, «ne t’inquiète pas, ça va aller », est qu’elle nie les émotions de l’enfant, qu’elle nie ce qu’il ressent au fond de lui. Peut-être qu’il n’y a effectivement rien à craindre objectivement, mais les émotions quant à elles sont bien réelles et la personne a d’abord besoin d’être entendue. « Oui, tu as peur et je le comprends ». Filliozat (2019) dans son ouvrage « Que se passe-t-il en moi ? » nous rappelle que les émotions telles que la peur sont d’abord des réactions physiologiques dont la fonction est de nous adapter face aux sollicitations de l’environnement : une alerte face à un danger, une préparation à passer à l’action. Les émotions sont au service de la vie, elles ne sont pas nos ennemies. En ce sens, la peur en tant qu’émotion est avant tout un événement du corps. Lorsque nous avons peur, il y a un ressenti interne qui est d’abord corporel.  Nier ce ressenti corporel revient à laisser de côté une information authentique, importante, que l’enfant aurait intérêt à apprendre à reconnaître et à apprivoiser dès son plus jeune âge. On peut ainsi poser la question à l’enfant : « Oui tu as peur, qu’est-ce que tu ressens dans ton corps ? ». Tant que nous n’avons pas compris cela, alors nous luttons contre nos émotions, nous ne les écoutons pas, nous ne voulons même pas qu’elles existent – enfin surtout celles qui sont jugées désagréables ! Et nous ne pouvons pas non plus inviter nos élèves, les enfants, les plus jeunes, à les écouter et les accueillir. Les émotions ne sont pas invitées, elles doivent rester au placard, elles n’ont pas leur place dans un monde qui se veut rationnel.

Je nous invite à penser à cette question, pour nous-même et lorsque nous sommes avec des enfants : « Que puis-je faire quand je suis inquiet ? Que peux-tu faire quand tu es inquiet ?».

Référence : Filliozat, I. (2019). Que se passe-t-il en moi? Comment vivre ses émotions? Marabout.

 

 

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