Quand on y pense, il se passe quelque chose de fascinant lorsqu’on rencontre quelqu’un : sans même s’en rendre compte, on a tendance à adopter les mêmes expressions faciales que la personne en face, sa posture, son langage corporel, sa tonalité de voix, etc. Vous en doutez ? Et pourtant cela a bien été montré par les recherches en psychologie : dans la rencontre se met en place une forme de mimétisme, provenant de la libre circulation des émotions, une forme de transfert affectif, même si cela n’est la plupart du temps pas conscient. Au fond, chacun de nous le sait, car on en a fait maintes fois l’expérience, on l’a ressenti, mais on a certainement tendance à l’oublier, on ne s’y attarde pas plus que ça… Creusons un peu le sujet.
Pour signifier cet échange réciproque, ces inter-influences liées aux relations que nous établissons, les psychologues parlent de contagion émotionnelle, au sens de la capacité des émotions à se transmettre. Cette capacité n’est pas propre à l’humain : elle existe également chez de nombreuses espèces animales qui font montre d’une forme d’organisation sociale, les singes bien entendu, mais pas seulement. La contagion émotionnelle, c’est spontané et immédiat, non réfléchi, non planifié, c’est omniprésent dans nos interactions et voilà pourquoi cela constitue une composante fondamentale de nos rapports avec les autres. Cette contamination émotionnelle commence très tôt : déjà in utero, le fœtus ressent les émotions de sa mère. Par la suite, bébés et jeunes enfants entrent en communication avec leurs pairs par l’imitation d’abord : tu me souris, je te souris aussi, tu émets un cri aigu, je fais pareil, tu lances ton jouet, alors je lance aussi le mien. L’imitation, c’est le premier canal que nous utilisons pour communiquer, entrer en relation, et ceci bien avant le langage, c’est le moyen le plus fondamental, le plus rudimentaire pour signifier à l’autre qu’il est intéressant, qu’il nous plaît, que l’on souhaite avoir un contact avec lui. Ceci a à voir avec ce que l’on a pris l’habitude de nommer « les neurones miroirs » en psychologie. Plusieurs personnes sont horrifiées par une situation et cette peur se lit sur leur visage ? Nos neurones miroirs se mettent immédiatement en action, nous imitons inconsciemment ces mêmes expressions de peur, elles deviennent nôtres et vont provoquer la même émotion au niveau de notre cerveau limbique.
A l’œuvre dans toutes nos interactions, la contamination émotionnelle nous rappelle une chose fondamentale : nous sommes tous sujets à la contamination émotionnelle, comme l’évoque l’exemple ci-dessus, et il faut certainement apprendre à s’en protéger lorsqu’elle est négative, mais nous sommes tous également porteurs de contamination possible. Vu sous cet angle, le pouvoir de la contagion émotionnelle est immense. Il suffit de poser la question à des élèves pour s’en convaincre : tous vous diront que l’enseignante ou l’enseignant qui les a marqués savait rendre son cours intéressant, partager sa passion… que cela se voyait, que cela se ressentait… Dit avec d’autres mots, il pouvait à lui seul contaminer son auditoire. Cette capacité-là s’est d’ailleurs vu grandement diminuée dans les degrés secondaires et tertiaires avec la mise en place des cours à distance imposés par la crise de la Covid. Derrière l’écran, cela n’était plus pareil : l’écran, tout comme le masque, ont eu pour effet de gommer des indices émotionnels capitaux : la tonalité de la voix, l’expression des yeux, le langage du corps, tous ces couloirs émotionnels significatifs que la plupart d’entre nous avaient hâte de retrouver en vrai au sortir de la pandémie. Une chose est sûre : c’est bien cette libre circulation des émotions qui nourrit des synergies entre les individus, synergies qui sont essentielles pour avancer et créer ensemble…
Dans son ouvrage intitulé « La contagion émotionnelle », à partir de l’observation de populations atypiques telles que des astronautes, des négociateurs du RAID ou du GIGN, des survivants d’expéditions compliquées ou des condamnés à mort par exemple, Christophe Haag nous invite à mieux prendre conscience des formidables opportunités d’être ou de devenir des pourvoyeurs d’émotions bénéfiques. Il nous incite à réfléchir à la nature des émotions que nous transmettons, partant de la prémisse que nous avons le choix : a-t-on envie d’émettre des émotions bénéfiques ou nocives ? Christophe Haag évoque alors l’« effet papillon », avec l’idée que l’on fait partie d’un « tout émotionnel ». Qu’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit pas d’être béat et de combattre la négativité ambiante par une pensée positive forcée et surjouée. Il s’agit plutôt de réfléchir à l’empreinte émotionnelle que l’on souhaite propager autour de soi et de se comporter en conséquence. Ceci semble urgent à l’heure actuelle, et peut-être encore plus lorsqu’on exerce un métier du lien et de la relation comme celui d’enseignant. Je nous invite à conscientiser et saisir les formidables opportunités que nous offrent les capacités de contagion émotionnelle dont nous sommes dotés…
Référence : Haag, C. (2019). La contagion émotionnelle. Albin Michel.
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