Gloria Vynil, ce nom vous évoque-t-il un souvenir lointain ? Ou bien rencontrerez-vous sa porteuse seulement sur les premières pages du roman éponyme ?
Après avoir donné vie à ce personnage sans rôle principal mais non sans importance dans J’aime ce qui vacille, roman qui lui a valu le Prix suisse de littérature en 2014, Rose-Marie Pagnard propose dans son dernier roman d’aller à la rencontre de Gloria. Celles et ceux qui acceptent l’invitation découvrent le monde d’une photographe et vidéaste primesautière et indépendante, d’une jeune femme aux pensées tentaculaires qui n’a pas désappris de se laisser émerveiller.
Gloria se sent « née pour être heureuse » comme l’avait prophétisé l’aîné de ses cinq frères. Elle se cramponne à ce bout de phrase, tout en sachant qu’il lui manque une pièce dans son puzzle existentiel. Cette pièce perdue, c’est le souvenir du drame survenu l’été de ses six ans. Souvenir dont l’amnésie l’a dépossédée, mais dont le silence de sa tante Ghenya et l’attitude distante de ses frères lui rappellent constamment l’existence.
Faudrait-il chercher à savoir ? Comme pour retarder la confrontation avec le souvenir d’un passé traumatique, Gloria se lance dans la préservation de la mémoire d’un musée voué à la destruction. En poursuivant le projet de le photographier en l’état de rigidité cadavérique, elle tombe sur Arthur. Muni d’un chevalet et de toiles, ce dernier vise le même but. Entre les deux, ce sera le coup de foudre et le début d’une double mission contre l’oubli. Comment garder une trace du passé, comment en supporter le souvenir douloureux ? Le lecteur, renseigné dès la première page sur ce fameux été passé sous silence, accompagne une Gloria qui se fait embarquer pour un voyage qui l’expose à ces interrogations. Sa trajectoire est jalonnée de toute une panoplie de personnages tragi-comiques aux esprits artistiques. Une voyante malgré elle, un taxidermiste amateur de science et de Birkenstock – l’auteure multiplie les figures qui accompagnent cette prise de conscience.
Gloria Vynil est un roman d’initiation émouvant et teinté du surréel, implanté dans des décors quotidiens merveilleusement dépouillés de leur banalité. Par la plume de Rose-Marie Pagnard, le sommeil se transforme en éléphant africain, une boîte à linge se mue en un compagnon nocturne. Et Gloria Vynil devient, pour ceux qui acceptent l’invitation, plus qu’une simple connaissance, une compagne de voyage qui leur apprend à laisser entrer la vie.
Rose-Marie Pagnard, Gloria Vynil, Éditions Zoé, 2021, 203 pages, 26 CHF.