Fil rompu et filiation renouée

À chaque rentrée, il y en a un. C’est systématique. Le roman de filiation a la cote depuis des années, et il a parfois tendance à nous lasser par son impression de déjà-vu. Cet automne un énième livre de ce genre est né. Il s’agit du premier roman de l’assistante de production cinématographique genevoise Céline Spierer, Le fil rompu.

L’autrice propose de suivre plusieurs trames narratives se rapportant chacune à une époque et donc à une génération différente. Alors forcément, on attend l’élément qui fera se rejoindre les lignées. Il faut l’avouer, la « pièce manquante » se fait attendre, ce qui, au premier abord, crée une certaine frustration. L’impatience nous gagne. D’autant plus qu’au début, on ne sait pas trop ce qu’on lit. La quatrième de couverture et le paratexte introduisent une histoire de tableaux acquis par un acheteur anonyme, mais cette intrigue se perd par la suite.

Néanmoins, on ne lâche pas le livre. Il y a un « petit quelque chose » qui fait qu’on y retourne, qu’on laisse de côté la frustration. Evidemment, l’envie de savoir où nous mène le roman y est pour quelque chose. Mais ce n’est pas tout. C’est d’abord une question d’ambiance. L’autrice crée une atmosphère particulière, envoûtante. Ensuite, les différentes trames nous promènent à travers l’Europe et le vingtième siècle. On se laisse prendre par la main et on voyage, toujours sans trop savoir ce qu’on attend. Petit à petit, ce n’est pas seulement le temps et l’espace que Céline Spierer nous fait traverser, mais aussi la société. Détour en enfer, on redécouvre les atrocités humaines du siècle passé sous un angle particulier.

Ce voyage, le lecteur est invité à l’entreprendre en suivant l’histoire d’une famille, mais surtout l’histoire de femmes. Des personnages féminins (mais pas uniquement) qui deviennent sincèrement attachants. C’est surtout le cas de la protagoniste qui, autant lorsqu’on la voit enfant que personnage âgé, nous touche. On adhère à sa philosophie : « Une expérience n’est jamais trop dramatique tant qu’il y a du dessert ». Ce « je ne sais quoi » qui rend le roman attrayant, c’est aussi sa profondeur qui nous vient directement de la protagoniste. A travers son histoire se pose la question de l’identité. Question amenée tout en subtilité, supposée plus que posée. Question d’identité du personnage mais aussi de la société : quand on a été adopté par une famille nazie puis qu’on retrouve sa mère biologique survivante des camps de la mort … qui, finalement, fait le bien et le mal ? L’enfant, dans sa vision manichéenne du monde, ne sait plus qui croire ni qui être.

Finalement, l’histoire des tableaux émerge à nouveau. Ce n’est pas la trame principale comme on aurait pu le croire, mais l’élément qui englobe le roman. Le récit s’ouvre et se clôt sur ces toiles. Il relie le fil rompu et le fil (presque ?) renoué. Si cela peut passer pour une bizarrerie, on finit par comprendre que c’est un élément créateur de cette atmosphère particulière, au même titre que l’attente critiquée au début de ces lignes.

Céline Spierer propose une petite perle avec son récit de filiation, pour autant que l’on accepte de se laisser guider par les différentes trames sans faire preuve d’une impatience malvenue qui gâcherait la lecture.

 

Céline Spierer, Le fil rompu, Paris, Editions Héloïse d’Ormesson, 2020, 396 p.

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