Maître paquerette, dans la prairie dressée
Craignait l’arrivée de l’orage.
Maître chevrette, par l’odeur alléchée,
La goba sans faire de langage.
Cette fablette vous rappelle peut-être quelque chose. Pour Jean-Pierre Rochat, elle est le souvenir d’une scène qu’il a vue, encore et encore. Cinquante ans durant, ce barbu à l’air bonhomme (ou grognon selon son humeur) remplit ses journées de la tendresse qu’il transmet à ses bout’choux bêleurs.
Et puis un jour c’est le drame ! « De tes services, on en veut plus, vieillard » qu’on lui dit au service des subventions agricoles de la Confédération. Foutu à la porte, le nouvel SDF erre à droite à gauche, avec ou sans son âne. Et sans ses chèvres, Rochat, il s’emmerde. Il occupe alors les heures qui passent par ses deux activités favorites : baiser et se plaindre.
Si comme moi vous êtes rempli de préjugés et que vous vous dites qu’un sdf barbu c’est pas Don Juan, vous allez être surpris. Par chance, sa seconde activité est moins atypique et évoque le nain grincheux de Blanche Neige. Le bouquin est rempli de sempiternelles plaintes débutant par des phrases telles que « ah les jeunes de nos jours … ». Parfois, Rochat nous confesse même qu’il aurait peut-être souhaité que la fin de sa vie professionnelle soit raccourcie un peu. Mais revenons à nos moutons (ou nos chèvres). C’est quoi l’intrigue ?
Eh bien c’est précisément ça : une rétrospection sur la nouvelle vie de vagabond de l’auteur. Ou comme il le dit lui-même : « L’histoire d’un paysan qui devient citadin contre son gré, après une mise à la retraite forcée par l’absence de mesures de soutien pour les agriculteurs de plus de 65 ans. Il se serait flingué depuis longtemps sans le soutien moral, physique et même financier (pendant qu’on y est) d’une femme. »
« Mais prof ça a vraiment l’air ennuyeux votre histoire de vieux qui décrit son quotidien », me dit Nicolas au fond de la classe. Je corrige immédiatement Nicolas en lui rappelant qu’on lève la main avant de prendre la parole. Amateurs d’aventures et de fantaisie, fuyez ce livre !
Non. Il est destiné à un public amoureux. Amoureux des belles lettres. Amoureux de ces êtres que le temps nous a enlevés (pas de méprise, on parle toujours de chèvres). Amoureux de … l’insouciance. Mais fuyez-le bien alors ! En vous persuadant qu’aucune histoire d’amour ne vous a jamais fait cracher une larmichette.
Jean-Pierre Rochat, Roman de gares, Genève, éditions d’autre part, 2020, 136 p., 24 CHF.