Imaginez un décor de carte postale : un luxueux hôtel, une piscine scintillante et, oh surprise, un cadavre. C’est la scène d’ouverture de La dernière chambre du Grand Hôtel Abîme. « Sixtine, jeune influenceuse aux centaines de milliers d’abonnés, est retrouvée morte au bord de la piscine du luxueux hôtel où elle loge. Elle a été jetée dans le vide », et vous vous dites : Enfin, un bon vieux polar pour me tenir en haleine ! Eh bien, vous pouvez ranger votre loupe et votre chapeau de détective, car Quentin Mouron ne vous emmènera pas par ce chemin balisé. Bref, oubliez l’enquête trépidante. Mouron vous plonge dans un véritable dédale psychologique. Chez cet auteur, la mort de Sixtine sert surtout de prétexte pour une satire sociale piquante de notre société hyperconnectée.
En quelques chapitres, on découvre que le vrai crime n’est pas tant celui commis sur Sixtine, mais la vacuité d’une jeunesse obsédée par le like et le follower. L’auteur nous fait remonter le temps, quelques jours avant le drame, et nous présente un défilé de personnages aussi fascinants que désespérés. Il y a Sam, un influenceur en quête de reconnaissance qui « aurait bien voulu être absent, guère plus qu’une peau, guère plus qu’une ombre », Lola, une jeune femme perdue dans un monde d’illusions, et Hugo, un journaliste désillusionné. Ces protagonistes incarnent chacun une facette d’une génération qui se débat dans un océan de désirs inassouvis et d’attentes irréalistes, le tout alimenté par l’éternelle quête de validation sur les réseaux sociaux.
Mouron, avec son style aiguisé comme une lame, jette un regard sans concession sur cette jeunesse vorace, scotchée à ses écrans et engluée dans des relations superficielles. « La vie n’était pas une plaisanterie et pourtant Sam était incapable de la prendre au sérieux ». On ressent à quel point ces personnages sont à la recherche du vrai dans un monde où tout est façonné pour plaire.
L’originalité du récit réside aussi dans la diversité des styles que Mouron utilise. Prose, vers, dialogues théâtraux, chaque changement de ton apporte un dynamisme. Parfois, on est à vrai dire un peu perdu – comme si l’auteur jouait à cache-cache avec le lecteur. Mais bon, cela nous plonge dans le chaos des esprits tourmentés des protagonistes, alors on s’accroche.
« Hugo continuait à leur crier qu’ils devaient s’en aller
allez vous faire foutre
allez vous faire foutre
allez vous »
Mouron dépeint un tableau dévastateur de l’univers des influenceurs. Les plateformes, censées créer des connexions, se transforment en pièges à solitude. On plonge dans un monde où l’authenticité est soigneusement écartée au profit d’images glamour. On frôle parfois le cliché, mais l’auteur parvient à dépasser cette superficialité en montrant que derrière chaque façade brillante se cachent des démons. Chacun lutte avec ses propres addictions et angoisses, révélant la dissonance entre une vie éclatante et une réalité sombre.
La dernière chambre du Grand Hôtel Abîme est une réflexion aigre-douce sur notre époque. Cette critique mordante d’une société en quête de sens ne peut que retenir notre attention. Mouron réussit à tisser un récit riche, il nous invite à questionner notre propre rapport aux réseaux sociaux et aux influences qui nous entourent.
Certes, ce roman peut paraître presque trop audacieux dans sa forme et son style, mais son message frappe fort. À travers son exploration des réalités numériques et des aspirations désenchantées d’une génération, Mouron nous confronte à une vérité : derrière un sourire pixelisé se cache souvent une solitude abyssale. Au final, qui est vraiment la victime de cette tragédie ? Peut-être que c’est notre capacité à nous connecter vraiment les uns aux autres qui a pris la plus grosse claque. Allez, un toast au dernier buzz de Sixtine, et à notre lutte pour l’authenticité !
Quentin Mouron, La dernière chambre du Grand Hôtel Abîme, Editions Favre, mai 2024, 176 pages, 24 CHF.