Le XVe siècle révèle à l’humanité que la Terre est ronde, le XVIe qu’elle n’est pas le centre de l’univers. Et plus de quatre siècles après la révolution copernicienne, une photographie de la Terre continue d’alimenter les découvertes scientifiques : la terre est sphérique, parfaitement sphérique.
Cette photographie, c’est un cliché de la Terre, telle une bille bleue flottant dans l’immensité noire de l’espace. Cette photographie, c’est l’image mondialement célèbre, baptisée Blue Marble. Et c’est aussi l’ancrage du récit d’Alexandre Chollier, intitulé November November, publié en janvier 2025 aux Éditions La Baconnière.
Au-delà d’un récit, November November se dévoile comme un objet singulier. Sa couverture recrée cette photographie iconique et se déplie pour offrir aux lecteurs et lectrices une chronologie retraçant l’ère spatiale de 1957 à 1972, date de la mission Apollo 17. À l’intérieur, le catalogue de près de cent septante photographies tirées du film NN (November November) utilisé durant cette mission, est suivi d’un récit détaillant le contexte autour de la prise de Blue Marble. Chollier crée ainsi un livre en deux temps, en images et mots, qui forme pourtant une unité. Les mots viennent s’apposer aux clichés pour en saisir la pleine portée, les immergeant dans un ensemble narratif qui les transcende.
En observant ce recueil photographique, nous croyons embarquer à bord du vaisseau spatial en 1972 avec les astronautes Eugene Cernan, Ronald Evans, Harrison Schmitt. C’est avec eux que nous regardons à travers les hublots de l’engin la Terre s’éloigner et la Lune approcher. Dans ce carnet photos, le cliché Blue Marble figure : « Une image plein cadre d’une Terre aussi sphérique que possible, c’est-à-dire montrant, à condition que l’on soit à une distance suffisante, presque la moitié de sa surface totale ». La photographie prise par Evans dévoile le pôle Sud de la Terre, avec des nuages flottant au-dessus du continent africain et de l’île de Madagascar. Au nord, l’Arabie se dessine presque en entier.
Mais le carnet photographique ne s’arrête pas à ce cliché iconique. À chaque page, on nous incite au voyage, offrant des vues de l’Antarctique, de l’Amérique, de l’Océan Pacifique, de l’Australie et de la Mer de Smyth. Puis, alors qu’Apollo 17 arrive à destination, une image témoigne de son site d’alunissage… avant son retour sur Terre.
Peu à peu, Chollier troque la posture de démonstrateur pour celle d’explicateur. Son récit plonge dans l’ère spatiale de 1968 à 1972, retraçant le programme Apollo : de la première mission jusqu’au dernier voyage de cette « aventure spatiale ». L’auteur conte l’avènement de la photographie dans l’espace, les enjeux et les difficultés que cela représente, le choix de l’appareil photographique pour la mission Apollo 17 et le déroulement de l’expédition. Pour Chollier, les termes « documentation » et « précision » ne se traduisent toutefois pas par une technicité ardue. Son récit, accessible à tout lecteur, rend cette épopée spatiale compréhensible mais surtout poétique : « La Terre n’est plus une sphère dont on peut simplement faire le tour, mais un joyau aux myriades de facettes changeantes. Ce qui en revanche ne change pas, c’est ce halo bleu, cette atmosphère irisée qui remplit la cabine, comme si les hublots étaient des vitraux. »
Avec November November, Chollier propose un objet artistique à la croisée de la photographie, de l’histoire, de la science… et de la littérature. L’histoire de l’exploration spatiale n’est-elle pas en continuelle réécriture ?
Alexandre Chollier, November November, Genève, La Baconnière, 2025, 180 pages, 21,50 CHF.