Entre rencontres et partages : un regard sur les marges du Salon du Livre de Genève 

Le Salon du Livre à Palexpo bat son plein : cinq jours d’activités, de discussions, de circulation dense, entre le 19 et le 23 mars 2025. Pour y accéder, il faut passer les portes vitrées, traverser les halls immenses, longer les cafés trop chers. Ce jeudi-là, le public est scolaire : classes, enseignants, badges colorés. L’ambiance est vive, parfois bruyante. Rien d’anormal, mais une ambiance bien différente de celle des week-ends, où les visiteurs sont souvent des lecteurs plus aguerris ou des curieux venus flâner.

Malgré son nom, le salon ne tourne pas exclusivement autour du livre. Littérature ? Oui, un peu. Mais surtout : dispositifs immersifs, BD projetées, animations scientifiques, grands visuels, photos en série. Le mot « livre » semble parfois n’être qu’un prétexte. Ici, le texte se partage le terrain avec l’image, le son, l’interactif. Mais mon attention s’est portée ailleurs : sur ce qui gravite autour des mots, sur les interstices du salon. Et si je n’ai pas réalisé d’interviews à proprement parler, j’ai récolté ici et là des bribes de conversations, des échanges spontanés, en cassant à ma manière la barrière auteur-public.

Dès l’entrée, l’Espace des cultures arabes invite à découvrir d’autres récits. L’immersion annoncée reste modeste, mais quelques titres interpellent. À côté, l’Espace « Découverte Corto Maltese » mise sur la nostalgie graphique : dessins d’Hugo Pratt, panneaux biographiques et une vidéo en boucle qui célèbre l’imaginaire du voyage, celui qu’on traverse sans avion ni visa.

L’Espace Découvert Corto Maltese, images capturées par Morgane Pillonel

Non loin de là, chez Transboréal, on part ailleurs. Marion Touboul parle amour en Égypte. Cristina Noacco raconte les Dolomites comme on décrypte un poème géologique. 

Les diverses éditions Transboréal, image capturée par Morgane Pillonel

Yoann Guillet, quant à lui, se démarque. Il parle vrai, sans rhétorique dans son livre : Un voyage en sac à dos, seul et sans expérience. Trois mois entre Afrique du Sud, Swaziland et Madagascar. Seul. Sac de 40 litres. « J’étais loin du quotidien, loin de la routine, je ressentais un besoin d’évasion, un désir de renouveau », confie-t-il. Il parle d’apprentissage, comment faire avec peu, se laisser porter par la vie.  Puis il ajoute : « Je n’attends qu’une seule chose : repartir dès que possible pour une nouvelle aventure encore plus folle. » Le désir de fuite, brut, sans filtre.

Un peu plus loin, l’exposition photo « Rencontre Éphémère ». David Olifson montre des visages, des instants suspendus, captés après une rencontre avec trois moines en Birmanie. Rien de spectaculaire, juste des regards. « Il capture avec précision et délicatesse ce qui se cache derrière les apparences », lit-on. Loin de l’agitation des couloirs.

Exposition Rencontre Éphémère par David Olifson, image capturée par Morgane Pillonel

À côté, un contraste : « Check my Dream », celui qu’on surnomme le chasseur de paysages. Volcans, cascades, aurores boréales. Il raconte ses voyages, ses attentes, son émerveillement. Puis lâche : « Chaque photo est une rencontre avec l’inattendu. Voyager, c’est apprendre à regarder autrement. » C’est calibré, mais ça fait son effet. 

Une plongée dans l’univers du polar

Changement d’ambiance et de ton sur le stand des romans policiers et des thrillers. Pascal Marmet présente Seine Criminelle, inspiré de faits réels : « J’ai suivi des enquêteurs sur le terrain pour capter au plus près l’atmosphère des enquêtes criminelles parisiennes. » On sent le travail, la précision. Son livre vient d’être primé. 

À quelques pas, Nicolas Feuz, ancien procureur. Il connaît le système judiciaire de l’intérieur, ses romans en portent la trace : justesse, tension, rebondissements. Le public est là. Il dédicace, discute, plaisante. On sent l’aisance du pro. Rien à vendre de plus que le livre, et ça suffit. 

L’histoire du livre sous un autre regard

Une allée plus loin, un espace dédié à l’imprimerie nous ramène aux origines du livre. Une presse manuelle, des caractères, des encres colorées. Jean-Claude, typographe passionné, fait tourner les rouleaux et raconte l’encre bleue au sulfate de cuivre, l’alliage d’étain. « Ce que j’aime, c’est voir les gens s’émerveiller devant la magie de l’imprimerie, comme si c’était la première fois. » 

Espace imprimerie animé par Jean-Claude, image capturée par Morgane Pillonel

Un salon à hauteur d’enfant 

Le cœur battant du jeudi : l’espace jeunesse. Le Salon du Livre de Genève n’oublie pas son jeune public, avec de nombreux stands et activités spécialement conçus pour éveiller la curiosité et stimuler l’imagination des enfants et adolescents. Ça court, ça rit, ça pose mille questions. Le laboratoire de l’Éprouvette de l’UNIL anime un jeu vidéo sur la science. Un peu plus loin, Ma vie de chouette est présenté sur scène par Alexandre Roulin et Christine Mohr. Les enfants écoutent, curieux. L’auteur explique : « Les défis des chouettes — se nourrir, protéger leurs petits, lutter contre les maladies — résonnent avec ceux que nous, humains, rencontrons aussi. » Une réflexion originale qui met en lumière la complexité du monde animal et sa proximité avec les humains

Chez La Salamandre, l’émerveillement passe par les livres : faune, flore, albums illustrés, revues. On vise à éveiller les plus jeunes à ce qui vit autour d’eux. Pas mal de parents s’arrêtent, regardent, repartent avec un livre sous le bras.

 Un peu plus loin, les enfants dessinent avec Sylvain Diaz. Leurs créations sont projetées en direct. À quelques mètres, un autre mur coloré accueille les messages laissés sur le thème « Il était une première fois ». Des mots fragiles, des traits spontanés, et au fil de la journée, les post-it colorés et les dessins s’accumulent sur le mur dédié à cet effet, reflétant ainsi la créativité débordante des jeunes auteurs et dessinateurs en herbe.

Une image contenant texte, Propriété matérielle, salle de bain, capture d’écran

Le contenu généré par l’IA peut être incorrect.

L’atelier Chantier Littéraire, image capturée par Morgane Pillonel

Un moment d’émotion au Chalet Suisse

En milieu de journée, le calme revient au Chalet Suisse. Anne-Dauphine Julliand lit quelques extraits d’Ajouter de la vie aux jours. Elle parle du deuil, sans détour. « Fuir les ‘pourquoi’ et les ‘et si’ », dit-elle. « Écouter son instinct de survie. » Le public écoute, en silence. Rétrospectivement, c’est le moment le plus prenant de la journée.

Échange entre Anne-Dauphine Julliand et Marion Muller-Collard, image capturée par Morgane Pillonel

Clôture sur une note artistique et humoristique

Avant de quitter le salon, une dernière halte s’impose : Zep. Quelques dessins projetés. Une parole simple : « Dessiner son monde ». Il fait rire les petits, sourire les grands. La boucle est bouclée.

Ainsi s’achève cette visite au Salon du Livre. Ce n’est pas un lieu de grande immersion, c’est un flux. On capte ce qu’on peut, on saute d’un monde à l’autre, on ressort un peu déboussolé. Parfois touché. Souvent surpris. Et ce jour-là, entre enfants en cavale, auteurs disponibles et regards en coin, c’est déjà beaucoup.

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