Une quête initiatique parmi les pierres

que j’étais des cailloux est un recueil de poèmes où écriture fragmentée et syntaxe déroutante se mêlent, rendant l’interprétation difficile. Plusieurs lectures s’imposent alors pour déterrer le sens des vers. Mais après tout, les pierres les plus précieuses ne se trouvent jamais à la surface.

Le recueil est composé de poèmes courts, sans majuscules ni points – à l’image de son titre – qui donnent l’impression d’être jeté·e in medias res dans l’univers du poète. Le lecteur ou la lectrice peut néanmoins s’appuyer sur les six sections de l’œuvre que sont dehorsdiamants stupidesminéralun peu de sable au fond du lachautes herbes, et ici qui font office de lignes directrices de la quête identitaire à laquelle les poèmes nous invitent. De plus, chaque lecture amène un renouveau et permet d’excaver, par fragments, les intentions de l’auteur. Des touches de mélancolie, des questionnements existentiels, une certaine lassitude se mêlent à cette syntaxe éclatée, qui parfois même rappelle des paroles d’enfants.

il reste à bricoler des farces, récolter
quelques miettes dessous la lèvre
de ces idées bien vastes

que j’étais des cailloux, c’est justement une aire de jeux : jeux de mots, jeux de sons, jeux d’esprit, à l’image de la sonorité farouche faufilée vite parmi le bruit, qui nous fait entendre un froissement léger, un chuchotement discret, presque imperceptible. 

que j’étais des cailloux, c’est un tissage d’assonances, d’allitérations, mais aussi de prises de risques, car à trop jouer avec la structure des phrases, le poète s’expose à l’égarement du lecteur et de la lectrice. Mais peut-être les y invite-t-il, finalement ? Avec l’idée qu’il est bénéfique de se perdre pour mieux se retrouver. 

ranger la nuit, les yeux boîtés
les étoiles surnagent les insectes gagnent
pourquoi pas nous
trouées de rois
dans les mâchoires du piège de l’espace

Tous ces éléments rappellent aussi les associations libres chères aux surréalistes. Peut-être est-ce là, aussi, le dessein du poète : créer la surprise, sortir des sentiers battus et proposer une forme de résistance à la fixité de la langue, à défaut de pouvoir se révolter autrement face aux carcans sociétaux. La forme se joint au fond pour faire état d’un malaise profond, celui d’un je aux prises avec le monde, peinant à exprimer ce qu’il ressent et qui tente de se faufiler pour trouver sa place dans une réalité saturée de brouhaha et de contraintes. 

Mais comment vivre sans rentrer dans le jeu des puissants, qui ne pensent qu’à s’enrichir de diamants stupides, dans ce monde qui cherche à façonner à sa manière les êtres qui le peuplent ? Comment laisser la place à l’enfant en nous, à cette parole qui ne cherche pas à convaincre, mais simplement à dire, à jouer, à viser juste ?

tout de même c’est fou
cet effroi de la vie au point
d’en parler comme un voyage

que j’étais des cailloux est un recueil exigeant, qui ne livre rien sans effort. Il invite à s’égarer, à revenir sur ses pas, à ramasser les mots comme des pierres sur un chemin qui semble parfois se perdre lui-même. Mais peut-être n’est-ce pas la forme de la poésie qui rend la compréhension difficile : peut-être est-ce le travail d’introspection qu’elle exige de celui ou celle qui la lit.

partons d’ici, ou en vrille

Auteur : Vincent Annen est un poète broyard né en 1995. que j’étais des cailloux, publié en 2025 aux éditions La Veilleuse est son deuxième recueil de poèmes, après nous était un village, paru aux éditions La Crypte en 2023 et lauréat du prix de cette même maison d’édition en 2022. En plus d’écrire de la poésie, Vincent Annen est également doctorant en Histoire et Esthétique du cinéma à l’UNIL, et s’investit dans le monde du cinéma, par le biais du collectif Abordage.

Vincent Annen, que j’étais des cailloux, Lausanne, La Veilleuse, 2025, 96 pages, 24 CHF.

Laisser un commentaire