LONGE, subst. fém. 1. – Lanière de cuir servant à attacher un cheval ou à le mener à la main. 2. – Moitié de l’échine de veau ou de chevreuil depuis le bas de l’épaule jusqu’à la queue. 3. – Année.
Ces descriptions peuvent toutes évoquer le titre du nouvel ouvrage de Sarah Jollien-Fardel, La longe. En effet, on se demande de quoi va traiter ce livre au titre mystérieux et plurivoque. Récit animal ? Violences domestiques ? Boucher sanguinaire ? Attachement contrôlé ? Après le premier roman plutôt cru de l’autrice valaisanne, il est légitime de s’attendre au pire quant à l’usage de cet objet à la fois commun mais aux sens disparates. Si la violence paternelle de Sa préférée (2022) se poursuivait dans La longe (2025), il serait fort probable que la longe soit un objet utilisé pour attacher, et donc qu’elle soit adoptée comme un vulgaire instrument de torture. Pourtant, il n’en est rien, et c’est là que l’autrice surprend. La longe est utilisée par amour.
Vous vous demanderez peut-être, en lisant ces lignes, comment l’on peut autant apprécier un livre dont le titre évoque, sans vergogne, un objet qu’on utilise pour attacher quelque chose ou quelqu’un (car vous l’aurez compris, c’est le sens de la première définition qui est employé dans le livre de Jollien-Fardel). Vous risquez de penser que je suis une adepte de la violence, et c’est vrai, mais uniquement lorsque celle-ci est si prodigieusement abordée.
La longe est un roman douloureux, impétueux, brutal. Il révèle le deuil, mais pas seulement. La colère aussi, l’injustice, l’incompréhension. Ces sentiments qui peuvent ronger de l’intérieur, le personnage de Rose en est rempli. Lorsque sa fille décède, tout s’écroule autour d’elle, tout devient insipide, vide de sens. Elle nous ramène dans le passé et nous raconte sa rencontre avec Camil, son amour de toujours, et nous présente aussi sa famille, sa maman. La mort de celle-ci : « Oui, oui, chance de parler à ma maman-fantôme, qui me répond en soufflant sur les nuages pour dévoiler un bout de soleil. » La tristesse étouffante de son père, la détresse autodestructrice de son frère. Ses liens avec les morts. Les différents lieux helvétiques sont importants, ils contextualisent mais symbolisent, aussi: « Ce drôle de duo de grands-mères, la citadine dépendante et la fille de la montagne rebelle, m’entoure, me protège, m’encourage à croire que tout, vraiment tout m’est accessible. » La nature qu’elle chérit tant, son refuge. Sa grossesse, empreinte de sentiments opposés. La naissance d’Anna, la maternité et d’autres morts.
Elle est où Anna ?
Anna est morte.
Moi je suis retenue dans une chambre aux parois boisées, attachée à une longe.
Rose traverse des épreuves profondément marquantes : le suicide de sa mère pendant son enfance, puis la perte de sa propre fille, qui la pousse au bord du gouffre. Ainsi, elle oscille entre hospitalisation psychiatrique et soins à domicile. Camil décide alors d’emmener Rose dans leur mayen en montagne. Elle ne se doute pas qu’il va l’attacher à une longe. Camil exécute ce piège aux airs pernicieux. Il la laisse dans ses pensées, dans un silence oppressant, un silence de souffrance, mais de libération, aussi.
Je parle à mes morts, ils me répondent de moins en moins, il faut bien qu’ils vivent. Les vivants reviennent.
Sarah Jollien-Fardel arrive brillamment à exposer la violence, en la rendant malgré tout absolument sublime. Il ne faut pas la cacher ou la censurer. Considérer la violence peut être un véritable remède pour l’âme. Tout comme Sa préférée, La longe vous émeut, vous plonge dans les abysses de la détresse, de la douleur. Mais La longe vous en sort aussi, vous redonne faim de lumière, soif de vivre. Car finalement, c’est ce que la longe, l’objet, l’expérience, a eu comme effet sur Rose.
Dans la montée blanchie, sous le bleu du ciel, je souris et je pleure en même temps.
Sarah Jollien-Fardel, La longe, Sabine Wespieser, 2024, 160 pages, 27 CHF