Faire corps avec l’âme

Son corps. 

            Le corps qu’on essaie d’habiter et celui qu’on voudrait posséder. 

Les corps des autres. 

            Ceux qu’on jalouse, ceux qui nous repoussent et ceux qu’on désire. 

« La nuit je formule des vœux et des souhaits pour m’éveiller à son image / J’imagine le bonheur qu’il y aurait à être absolument semblable aux autres »

La découverte de soi, de ses premières amours, de sa sexualité est une précieuse et exaltante exploration qui reste néanmoins délicate, éprouvante, mise à l’épreuve du regard des autres et des normes qui tentent de nous façonner. 

Est-ce que je suis une vraie fille si j’aime pas les robes ? Est-ce que les copains vont se moquer de moi si je joue à la poupée ? Est-ce que j’intériorise et perpétue inconsciemment des dictats sexistes ? Est-ce que je me reconnais dans ces normes ? Ne nous fait-on pas croire qu’il est simple d’être soi, homme, femme, parmi les autres ?

Et pourtant, second livre de Noah Truong, poursuit l’épineuse réflexion sur le corps entamée dans son précédent ouvrage de 2024, Manuel pour changer de corps, en abordant cette fois-ci tout ce que cet apprivoisement de soi, de l’enfance à l’adolescence, peut générer de doute, de honte, d’espoir ou de passion.

S’inscrivant dans la série des textes LGBTQIA+ engagés de Paulette Éditrice et les récits de la collection « Grattaculs », ce livre témoigne d’expériences et de questionnements dans lesquels chaque lecteurice pourra ponctuellement se retrouver : avoir peur du regard des autres, secrètement découvrir sexe et fantasmes, voir son corps changer et prier pour avoir celui dont on rêve, subir le poids de la mode, des body counts et des mecs problématiques… Les injonctions d’une société patriarcale cis-hétéronormée nous pèsent à touxtes d’une manière ou d’une autre, à différentes échelles certes, mais quels que soient notre genre et notre orientation.

 « J’ai peur de la violence des hommes »

Même s’il soulève certains enjeux dans lesquels beaucoup se retrouveront, le récit reste celui d’une expérience profondément intime, très peu pudique, et reflète de façon poignante une dualité intérieure que la structure du livre reproduit avec intelligence. Dans le même esprit d’interaction entre fond et forme, le genre est questionné en tant que construction sociale identitaire, mais aussi en tant que genre textuel. Narration par succession et accumulation d’images, libertés typographiques, ponctuation en slashs tels qu’utilisés lorsque l’on cite de la poésie, … le genre de ce texte semble inclassable, ses habiles jeux le faisant fluctuer sur le spectre des normes de la prose et de la poésie, entre lesquelles on ne ressent finalement pas le besoin de trancher, une fois happé par la sincérité et la fluidité du texte.

« Je passe mes dimanches chez mon voisin Arthur, il a une PlayStation 2, moi non, j’en profite pour avancer sa partie de Metal Gear Solid »

« Dans la chambre d’une voisine je lis Tom-Tom et Nana et Minnie mag / Je rapporte chez moi les Fantômettesqu’elle me prête »

Flashs en phrases courtes et rythmées, échos inattendus et un contexte empreint de l’âme des années 1990-2000 accompagnent ces mises en abyme thématiques du genre et de la dualité intérieure et garantissent une lecture à la fois accessible, ludique et touchante. Un témoignage bouleversant à ne pas manquer !


Noah Truong, Et pourtant, Paulette Éditrice, coll. Grattaculs, 2025, 90 pages, 20,50 CHF.

Laisser un commentaire