Voir le mal sans être vu

La fille de la brume est à la fois titre et personnage. Elle s’exprime en « je » tout au long de ce recueil de poésies. A cette première identité trouble et troublée s’ajoutent d’autres visages, comme la fille du désespoirla fille du ventla fille de l’encre et du papier, … Elle observe un monde violent et exprime ses émotions dans les poèmes que Damien Murith semble simplement retranscrire. Elle porte un regard froid sur les horreurs qu’elle voit et tente de déterminer la cause de ces maux.

Souvent, elle s’adresse à quelqu’un, un « tu » tout aussi flou que son « je ». C’est lui qui est présenté comme responsable des violences qu’elle décrit et de l’agonie de son propre monde. Il est également la cause du silence et de la solitude de la fille de la brume. Une force floue, malfaisante et violente qui peut évoquer la guerre ou la destruction de l’environnement par l’homme. Mais Damien Murith ne l’identifie jamais clairement. Une chose est certaine, le choix de ce « tu » crée un malaise chez le lecteur qui se sent inclus dans le mal que la fille de la brume dépeint.

Regarde-moi

Bourreau à l’œil blanc

Tu tortures comme d’autres

S’amusent avec du sable

Tes actes ont mille ans

Mille litres de sang

Tes océans sont gris

Tes ciels livides

Si lourds que les nuages

Comme des forçats

Les tiennent à bout de bras

Et moi à te voir agir,

C’est à bout de souffle que je vis

A la fin du recueil, la fille de la brume semble prendre conscience de la force de sa poésie. Par ses mots, elle est capable de réécrire, de réinventer les choses. Cette réalisation lui fait prendre conscience de sa propre existence qu’elle niait encore dans son premier poème. Cette lucidité soudaine la mène à la réconciliation finale avec le « tu » qu’elle ne reconnaissait plus à cause de ses violences. C’est une forme de retour à l’innocence de l’enfance perdue.

Ce matin

Posé sur le fil de l’aube

Entre ciel et terre réconciliés

Le sourire de l’enfant

Je te reconnais

Avec son premier recueil de poésie, Damien Murith n’hésite pas à proclamer le pouvoir des vers, des poèmes et de la parole. Ce thème est d’ailleurs proche de celui de son précédent ouvrage La Voix du violoncelle qui présente l’art à la fois comme une échappatoire à la violence guerrière du monde et comme un outil pour décrire ces horreurs. La description du mal s’impose comme la première étape pour le comprendre et le contrer. La fille de la brume montre la voie de l’art et de la parole, un chemin pour sortir du pragmatisme adulte qui laisse proliférer la violence et pour retomber dans l’indignation innocente de l’enfance qui voit le mal tel qu’il est.

Je me réfugie dans l’enfance

Et fuis jusqu’à mon ombre

Qui désarticulée

N’appartient plus à personne

Les mots sont des pierres

Qui pèsent dans la bouche

J’attends qu’une voix légère

Me libère


Damien Murith, La fille de la brume, Lausanne, Éditions d’en bas, 2025, 64 pages, 18 CHF.

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