Dire peu, mais dire tout

Un livre incroyablement envoûtant et touchant, et quand on croit qu’il ne peut pas devenir plus touchant, ça continue ! Jusqu’au vertige…

Est-ce que vous aimez le violet ? Est-ce que vous aimez la lune ? Si oui, alors la couverture de ce livre est pour vous ! Si vous aimez aussi les récits de vie, l’intimité, la vulnérabilité, et découvrir ce que c’est d’être une femme, et en particulier être une mère, alors ce livre est la meilleure chose que vous pourriez lire !

Pierrine Poget accomplit un tour de force de sensibilité avec son nouveau livre Inachevée, vivante. Le titre déjà est frappant, avec ses deux adjectifs qui semblent presque s’opposer par leurs sens, délicatement posés ensemble sans aucun autre mot ou explication. Le livre lui-même est une sorte de roman, avec une intrigue et des personnages, mais tout fait penser à des poèmes. Avant ce livre-ci, Poget avait écrit des recueils de poèmes, elle avait obtenu le prix C.F. Ramuz pour Fondations. Et vu qu’on ne change pas une équipe qui gagne, ce livre n’est pas vraiment un roman. Son intérêt ne réside pas dans l’action : le résumé révèle déjà tout ce qui s’y passe, au lieu de se contenter de fournir un avant-goût de l’histoire. Le récit commence douloureusement par un abus, puis la narratrice retourne dans son village d’enfance, et devient par la suite mère. Entre deux, la narratrice évoque les peintres qui l’ont influencés et qui lui ont permis de mettre en harmonie les différents aspects d’elle-même. C’est une sorte de Bildungsroman.

Si l’intrigue est donnée « gratuitement » au lecteur, c’est que le style est ce qui compte pour ce texte, au point que le livre ne révèle pas grand-chose sur la narratrice. Des choses se passent, mais les descriptions sont assez vagues, au final on ne sait pas précisément ce qui s’est passé. Ce n’est pas non plus un livre qui écrase son lectorat sous des paragraphes d’émotions, la narratrice reste là aussi assez discrète. Par exemple, le passage sur l’abus ne donne pas de liste des horreurs qui s’y sont passées, mais pas non plus beaucoup de descriptions des sentiments, de dégoût ou de douleur, que la narratrice ressent. Cette partie contient certes quelques détails concrets sur ce qui s’est passé, mais la narratrice les laisse parler pour eux-mêmes ; elle ne dit jamais au lecteur comment se sentir.

Ce style, à la fois émouvant et gardien de secrets, semble s’inspirer des peintres qui fascinent la narratrice : les impressionnistes. Leur but est de capter la lumière, de donner une impression plutôt que de représenter le plus fidèlement possible. Et c’est là la caractéristique de l’écriture de Pierrine Poget : celle-ci est une autrice impressionniste. Voilà pourquoi le livre divulgue sa propre histoire, voilà pourquoi cette histoire n’est pas le point central, voilà pourquoi on finit le livre sans savoir exactement ce qui s’est passé. On ressent ce que la narratrice a traversé, au lieu de savoir.

Touchant est le meilleur mot pour décrire ce livre, au point que je peine à trouver d’autres adjectifs. Le fait qu’on ressent si vivement ce que la narratrice traverse a pour effet que le lecteur se sent lui-même compris par la narratrice, il se voit refléter dans son œuvre. Avec une centaine de pages, ça peut se lire en une après-midi, mais ce n’est pas une lecture facile : parce que chaque page est émouvante, je devais m’asseoir en silence un moment après avoir fini ce livre, même à la deuxième lecture. C’est le compliment ultime : cette œuvre accomplit son but tellement bien qu’elle en est bouleversante, il faut la lire un petit peu à la fois.

Cela dit, je ne peux pas recommander ce livre à tout le monde. Il faut aimer la poésie, ou au moins avoir l’esprit ouvert ; moi-même je ne lis pas beaucoup de poésie, il y avait des passages où je ne comprenais pas vraiment, mais j’étais content d’être là. 

Inachevée, vivante est un livre extrêmement touchant et charmant, qui raconte le parcours d’une vie avec énormément de talent : tous ses lecteurs s’y retrouveront. Voici une citation qui le résume : « Il n’y a pas de vie sans contrepartie de lutte, d’existence qui, traversant toutes sortes d’états, n’ajoute son tumulte à celui des autres avant de trouver sa place ». C’est un livre qui parle : d’une femme, d’une mère, d’une écrivaine. Mais ce livre est bien plus universel que cette description peut nous le faire penser. Nous devons tous lutter, tous nous adapter pour trouver notre place, et ce livre, témoin d’une vie, est là pour qu’on se sente compris.


Pierrine Poget, Inachevée, vivante, La Baconnière, 2024, 18CHF, 112 pages.

Image : William Galley, 2024

Laisser un commentaire