C’est certain, jamais personne n’a entendu parler du Salem. C’était un énorme pétrolier – mesurant plus de 300 mètres de long et si gros qu’il ne pouvait pas passer le canal de Suez ! – qui a coulé au large des côtes sénégalaises le 16 janvier 1980. Même internet ne nous en parle pas tout de suite quand on le cherche, il faut descendre au bout de la page avant de tomber sur un article ou une vidéo à ce sujet. Comme si cette histoire avait, tout comme le bateau, plongé dans les abysses et l’oubli.
Pourtant, cet événement était loin d’être anodin. Malgré la taille gigantesque du pétrolier, aucune marée noire ne s’est manifestée sur les côtes sénégalaises. Pas de doute, il a dû y avoir anguille sous roche. On a même parlé d’« escroquerie du siècle ». Avec Le voyage du Salem, Pascal Janovjak propose un roman d’enquête audacieux qui tente de construire – ou reconstruire – l’histoire intrigante de ce pétrolier. Il comble les mystères l’entourant par un adroit mélange de recherches, de réflexions et d’imagination. Au niveau de l’enquête, le résultat est sans appel : ce roman englobe plusieurs histoires parallèles qui, au fur et à mesure, s’assemblent pour redonner une voix à un événement oublié. Des journaux intimes vont, à tour de rôle, aborder l’histoire du Salem sous différents points de vue ; tout d’abord celui de l’auteur, qui dévoile comment il a plongé dans le passé et mené son enquête, que ce soit pour comprendre l’histoire et les motivations des fraudeurs ou pour retracer le trajet exact du pétrolier, en utilisant des croquis, des peintures et des photos comme indices et preuves pour appuyer son enquête. Cependant, l’auteur mène sa recherche tout en étant confronté au présent avec la crise du coronavirus ; cet événement récent l’aidera aussi, à sa manière, à construire l’histoire du Salem. Son journal deviendra finalement le fil rouge et l’essence du roman.
Ce premier journal est entrecoupé par celui d’un marin anonyme présent sur le fameux pétrolier en 1979 et 1980, qui fait peu à peu découvrir son histoire au fil du périple : comment il est arrivé sur ce bateau et quel est le quotidien d’un marin – sans-papier et ignorant tout de ce qui lui arrive – au sein du gigantesque pétrolier. D’autres journaux – notamment celui d’Anne Frank et celui de Donald Crowhurst, un navigateur anglais à l’histoire atypique – feront apparaître à leur tour la clé de la disparition du Salem. Ce mélange de récits parvient à reconstruire l’histoire et, en supplément, offre une manière très inventive de s’immerger dans ce drame du passé.
Toutefois, bien que l’enquête soit réussie, les personnages de ce livre le sont moins, surtout celui du marin anonyme dont le style d’écriture est quelconque. Les phrases de son journal sont courtes et redondantes, elles reviennent sans arrêt sur les mêmes thèmes comme le jour et la nuit, la mer, le pétrole et le bateau. Tout cela à tel point que le personnage semble distant et sans âme. Bien que l’effet souhaité soit clairement perceptible – montrer à quel point ce marin a une vue restreinte sur ce qui lui arrive et à quel point il se fait exploiter – cela est tellement poussé au paroxysme que ses pensées paraissent parfois presque enfantines : « Ceux qui décident de la course du Salem ont un grand pouvoir, puisqu’ils sont capables de déplacer les étoiles », affirme-t-il. J’ose penser que même un homme ayant grandi dans un milieu modeste pourrait se douter du fait que c’est le bateau qui se déplace et non les étoiles.
Ce point mis à part, on ne regrette pas cette lecture : l’enquête est résolue, du moins en imagination, et c’est un voyage qui vaut bien le détour.
Pascal Janovjak, Le voyage du Salem, Paris, Actes Sud, 2024, 203 pages, 17 CHF.