Ceci n’est pas un caprice adolescent

Traduit de l’allemand par Christian Viredaz, Si les forêts nous quittent de Francesco Micieli déploie le cri polyphonique d’une jeunesse qui ne veut plus dire s’il vous plaît. 

J’ai 24 ans cette année. Je suis venue au monde avec le nouveau millénaire. Je suis actrice à part entière de cette génération climatique que mentionne la quatrième de couverture ; celle du déficit d’attention, de la cancel culture, de la chasse à l’hétéronormativité, celle qui s’invente des problèmes et des orientations.  

Facile de nous caricaturer. Légitime, un peu. Normal, surtout. Être jeune, c’est être moqué. 

Difficile lorsque le sujet n’est pas à la plaisanterie. 

Difficile, lorsque la température augmente de 0,2° C par décennie,

Presque aussi rapidement que l’électorat d’extrême droite, 

Que l’âge de la retraite, 

Difficile, lorsque le réchauffement climatique est traité comme un caprice adolescent. 

Si les forêts nous quittent de Francesco Micieli raconte cette impatience de voir les grands se charger éventuellement du problème : « Nous n’attendons pas la collectivité mondiale. Elle est trop lente. Nous agissons maintenant et sommes sans crainte. » Autour de la figure de la mystérieuse Gingko, les confessions d’un groupe militant nommé Watter s’enchaînent pour dire. Et dire quoi ?

Climat, par exemple, « comme pour commander une pizza », témoin du caractère désincarné qu’a pris la catastrophe dans les discours. On évoque aussi, beaucoup, les idées des uns et des autres, de ceux qui veulent « mourir pour quelque chose », l’un pour la justice et l’autre pour la nature. Mais aussi celles qu’on trouve dans les chansons, les films et les écrits. Ici, Virginia Woolf n’en sait pas plus que Rammstein. Parce que personne ne sait. 

« Si vous arrivez à faire assoir tranquillement une grenouille dans une casserole contenant de l’eau froide et que vous augmentez la température très lentement de manière qu’aucun moment ne soit marqué comme celui où elle devrait bondir dehors, eh bien, elle ne sautera jamais. Elle cuira. »

Tout ce que l’on sait, c’est que « nous devons bondir hors de la casserole par nos propres moyens. »

Lors de l’été caniculaire post covid, des jeunes se réfugient dans l’ombre d’un café, lequel sera rapidement marqué du sceau officiel de la juvénilité : états d’âme et révolutions. On fume, on boit et on conspire à sortir le monde de son apathie climatique. Le ton est tour à tour enflammé ou désabusé, bipolarité symptomatique du militant. 

Sur une huitantaine de pages et une disposition en monologues, Micieli donne des nouvelles de la jeunesse avec poésie, sans pour autant la romancer. Car ce livre n’est pas à envisager comme un « charmant » témoignage de la fougue de la jeunesse, que l’on classera sans suite, comme les permanentes des années 80 ou les tatouages tribaux du début des années 2000. On ne reviendra pas dessus avec affection et nostalgie comme les dialogues d’un mauvais film. On ne fera rien de tout cela car ceci n’est pas un caprice adolescent. Nul besoin d’avoir un pied dans la tombe pour saisir la gravité de la situation, ni pour être pris au sérieux lorsqu’on choisit d’en parler.  

La rage de cette génération climatique a, longuement déjà, été déclassifiée. Si les forêts nous quittent y ajoute simplement plus de décibels. Mais sa force singulière est de le faire en Suisse, pays trop souvent passif en temps de crise parce que, après tout, « on a bien de la chance d’être ici », que « c’est pire ailleurs ». 

N’attendez pas que ça le soit ici. N’attendez pas que la jeunesse vous quitte. Ne faites pas de notre complainte un fétiche à moquer. 

Pour nous, il s’agit simplement de « s’emparer de la vie ». 


Francesco Miceli, Si les forêts nous quittent, trad. par Christian Viredaz, Vevey, Hélice Hélas, 96 pages, 18 CHF.

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