Lors de cette 39ème édition du Salon du Livre de Genève, près de 60’000 visiteurs se sont bousculé aux portes de Palexpo afin de s’enquérir des dernières nouveautés, rencontrer leurs auteurs et autrices favoris ou tout simplement flâner dans le dédale infini des allées. Pour que ces lecteurs et lectrices puissent assouvir leur soif littéraire, ce sont quelque 240 exposants qui mettent la main à la pâte pour proposer des stands de livres variés et soignés, désirant provoquer la curiosité du public. Parmi eux, plusieurs maisons d’édition suisses romandes qui, par leur présence, recherchent de la visibilité ainsi qu’un contact direct avec de potentiels futurs lecteurs.
Lors de la journée du 20 mars 2025, bravant les troupeaux d’écoliers qui se ruaient vers les stands de bandes dessinées, je me suis rendue à la rencontre de quelques éditeurs romands afin de comprendre les enjeux liés à un événement littéraire tel que le Salon. En effet, si la perception du public se trouve généralement au centre des avis, il est important de ne pas occulter le rôle des éditeurs, sans qui Palexpo se retrouverait bien vide.

Vendre c’est bien, se montrer c’est mieux
Sans grande surprise, l’objectif principal des éditeurs lors de cette rencontre littéraire est avant tout la vente de leurs romans : « On se met dans la peau d’un libraire pendant quelques jours », affirme un collaborateur des éditions Zoé. Toutefois, l’enjeu va plus loin qu’une simple stratégie commerciale. En effet, il faut avant tout se montrer, être présent, si on veut éviter de se retrouver à la traîne. Ainsi, le contact direct avec les lecteurs et lectrices est crucial, car « le Salon fait partie de l’énorme machine mise en place par l’éditeur pour la promotion », comme le confirme la représentante de La Baconnière.

La visibilité, tel est le principal défi des éditeurs lors d’un évènement littéraire. Afin d’attirer l’attention des visiteurs, les maisons d’éditions tentent de mettre en avant leurs plus belles couvertures, leurs romans à succès, leurs graphismes colorés, sur des stands plus ou moins conséquents, dans le but de capter l’œil du public. Elles espèrent ainsi se démarquer et fidéliser leur clientèle, tout en transmettant une certaine sensibilité littéraire propre à chaque profil éditorial. Une entreprise peut néanmoins s’avérer laborieuse, épuisante, et vorace en temps, au vu du brouhaha incessant et de la concurrence des grands éditeurs internationaux qui, fatalement, possèdent des stands bien plus fournis.
L’union fait la force… et baisse les coûts

Contrairement à ce que l’on pourrait supposer, les différentes maisons d’éditions romandes ne souhaitent pas forcément entrer en compétition avec leurs homologues. La solidarité et la collaboration sont des valeurs à placer au centre. De fait, en plus du contact direct avec le public, le Salon permet également une rencontre entre collègues. Ainsi, il existe quelques groupements d’éditeurs, comme Livre suisse ou le Cercle de la librairie & de l’édition de Genève, qui partagent un espace commun dans les halles de Palexpo pour le temps de la rencontre. De cette façon, certaines maisons d’éditions romandes, souvent composées d’un petit nombre de collaborateurs, voient leurs coûts amoindris et leur réputation consolidée. En raison de la petite taille du marché littéraire helvétique, il n’est pas non plus rare que des associations soient formées avec des éditeurs de France voisine.
Une lutte commune contre le diktat du best-seller
« C’est une bataille sans fin. Le monde de l’édition, c’est ça. Il faut se battre pour faire exister nos auteurs. » Ces mots, prononcés par la représentante de La Baconnière, résonnent fortement auprès de tous les éditeurs romands. En faisant la promotion de leurs romans au Salon du Livre, ils espèrent avant tout faire valoir leur production dans un monde où le best-seller occupe une bonne partie de la scène littéraire (et des kiosques des gares). La maison d’édition Encre Fraîche, par exemple, souligne à quel point il est difficile de faire la promotion de ses livres, étant donné le nombre exponentiel de publications. Effectivement, la production de quatre livres par année ne peut rivaliser avec la cinquantaine de publications d’un éditeur plus conséquent. Ainsi, pour pallier un certain manque de visibilité, Encre Fraîche essaie notamment d’organiser des balades et cafés littéraires au cours de l’année, car il n’est pas facile d’attirer les foules quand des noms tels que « Joël Dicker » ou « Nicolas Feuz » sont sur toutes les lèvres.
La difficulté ? Conserver sa ligne éditoriale à l’heure où la concurrence du best-seller s’accroît. La maison Zoé, par exemple, met un point d’honneur à rechercher un équilibre entre ce qui la fait vibrer et ce qui pourrait marcher en Suisse et en France, mais ce travail s’avère souvent laborieux. La Baconnière, quant à elle, nous assure, avec un petit sourire en coin, qu’elle n’adaptera jamais ses publications en fonction du public : « On n’est pas Amazon ! »

Tenir bon, encore
Adaptation. Voici le maître-mot qui pourrait permettre aux maisons d’édition de prospérer. L’importance de garder son public est au centre des stratégies éditoriales : « Sans lecteur·ices, l’édition n’a pas de sens », affirment les éditions Zoé. Toutefois, les éditeurs romands ont plus d’un tour dans leur sac et révèlent, pour la plupart, une belle capacité d’adaptation. Entre les romans entièrement compostables et les publications sous forme de livres électroniques, les maisons d’édition font tout pour rester à la page : « On est des résistants, mais on s’adapte », murmure malicieusement l’un des co-directeurs d’Hélice Hélas Éditeur.
Ainsi, ce qui fait avancer l’édition romande, c’est le goût de la littérature. Par leur présence au Salon du Livre de Genève, les maisons d’édition romandes affirment leur ancrage dans le milieu littéraire et montrent qu’il existe encore une grande place pour l’expérimentation, la création et la réflexion. Finalement, ce Salon, c’est l’occasion de se rencontrer, de côtoyer le public, de discuter et de partager une passion commune, dans l’intention de faire exister des auteurs et autrices en continuant à mettre des romans entre les mains du public. Malgré la concurrence de l’édition française et les difficultés financières que rencontrent la plupart des éditeurs helvétiques, l’optimisme reste de mise. Hélice Hélas Éditeur l’a bien compris : « Il faut accepter de se battre, il faut accepter de ne pas être le premier sur la liste. »