« S’il doit y avoir un jour un Nuremberg climatique, y serai-je interrogée comme témoin ? » Que les agacés du point Godwin se rassurent : la narratrice se sermonne tout en formulant cette comparaison. Mais difficile de lui lancer la pierre : rares sont ceux qui peuvent affirmer n’avoir jamais cédé à l’éco-anxiété.
Pour son quatrième roman, Marie Houriet ancre la réflexion climatique dans les esprits helvètes. 2018. La catastrophe climatique, encore peu nommée ainsi, défie l’esprit entrepreneurial de Gilles Wenger, « l’épicurien de la transition écologique ». La solution existe : il suffit d’apprivoiser le désert. Planter des arbres dans les terres arides du Sénégal, pourquoi n’y a-t-on pas pensé plus tôt ? Ce projet du nom de SAHEL ne convainc pas tout le monde, mais il emballe les médias : c’est plus vendeur qu’un discours d’austérité.
Le récit trouve sa substance dans la pluralité des voix qu’il convoque : SAHEL est décrit de l’intérieur, par les petites mains qui le portent. Il y a Zélie, l’utopiste peu docile, qui documente la mise en œuvre du projet en tant que journaliste. Lucas, bourgeois bohème, travaille dans la société pour financer ses études au conservatoire. Anaïs, la femme de Wenger, complète ce trio et donne à voir un aperçu de la sphère privée du « génie ».
Si tout ce petit monde représente, chacun à sa façon, un certain esprit helvète, ce n’est pas seulement parce qu’ils sont « déçus en bien » ou qu’ils achètent du « rampon », mais parce qu’ils reflètent une mentalité droit de chez nous : le luxe de l’inaction. Coop ou Globus : leurs différences de classe sautent aux yeux, mais le contenu de leur caddie, régulièrement thématisé, trahit un même ancrage consumériste occidental.
Ancrer le récit huit ans en arrière vend la mèche : le projet SAHEL échoue. Vous l’aurez deviné, le roman ne cherche jamais à se présenter comme une utopie. Des âmes mal intentionnées rasent les arbres fraîchement plantés, probablement par convoitise. Le roman met même des reproches dans la bouche de Greta Thunberg : ce genre de projet, dit-elle, c’est une manière de retarder les décisions courageuses.
Pourtant, ce n’est pas l’inaction qui précipite l’échec, mais un ennemi extérieur, avantageusement fantomatique. Cela fait partie des points faibles du roman, de même que le flou entourant les conséquences du scandale SAHEL. La décroissance globale s’étant finalement installée dans les années 2040, on peine à savoir si l’échec du projet est déterminant ou constitue une simple anecdote.
À l’heure où les images de Blatten en ont choqué plus d’un, ce ne sont pas ces quelques réserves qui doivent relativiser la nécessité de romans comme Dorvénavant. Malgré des personnages quelque peu archétypaux, il évite soigneusement le manichéisme tout en rappelant l’évidence de notre implication dans la crise climatique actuelle.
La décroissance, oui – maintenant, pas dans trente ans.
Houriet Marie, Dorénavant, Vevey, L’Aire, 2025, 272 pages, 24 CHF.
Crédits : Jean-Christophe Bott