Un texte de la nature. Un texte de la honte.
Un texte de l’amour de soi. Un texte du désir.
Un texte du bonheur de la solitude. Un texte de l’humanité.
Un texte de la liberté. Un texte de peu de pages, mais un texte de beaucoup.
Dans Les Printemps sauvages, sorti en avril 2021, Douna Loup raconte le chemin-voyage d’une enfant ayant grandi au bord d’un lac, avec pour unique compagne la nature palpitante. « Je ne sais plus comment j’ai vécu cette enfance si seule. Sur la rive du lac rond. À jeter des cailloux dans l’eau et à me noyer dans le souvenir du cou de ma mère ». Arrivée au seuil de l’adolescence, elle part sur les traces de son frère inconnu, accompagnée de sa mère. Cette quête devient un vagabondage sur les routes, dans les champs et les forêts, dans les fermes et les usines. « Couchées dans les trèfles bas et la prêle nous avons passé des heures à ne rien faire. Couchées la nuit sous les pins dans les aiguilles chaudes nous nous sentions protégées et nous parlions du monde. »
Le temps s’écoule, la narratrice grandit, s’épanouit grâce à ce voyage et aux rencontres qui le parsèment, devient femme. Son corps se transforme au même rythme que son esprit. « Elle m’avait tant donné Lola, elle m’avait appris l’intérieur des centres et le sacre du plaisir qui se love entre mes jambes ». Après quatre ans de partage, la narratrice aborde sur l’île de Locla-yom et, alors qu’elle se baigne pour la première fois dans l’océan, elle découvre le désir dans les bras de Barnabée et se libère peu à peu de son adolescence. « Et l’océan me sculptait en effet. À force de passer auprès de lui mes jours, il commençait à grignoter en moi tout le superflu, à rendre mes contours saillants et à faire affluer à vif mes rêves et mes désirs ». Cette rencontre marque une séparation avec sa mère, séparation à la fois libératrice et douloureuse, qui lui permet d’explorer ses sens et ses idées.
Douna Loup est une experte des corps et du désir. Déployer (2019), avec ses sept cahiers, racontait déjà la relation à l’autre, le besoin de possession et l’épanouissement dans la sexualité. Les Printemps sauvages reprend ces thématiques et y ajoute la nature, la honte, la beauté du monde, sa fragilité, les sexes, le passé, le futur, le changement. Si bien que ce nouveau texte a un aspect indescriptible qui s’incarne dans sa capacité à unir une simplicité solaire et une dynamique totale, reflétant le monde dans son intégralité. Il est également d’une actualité fracassante puisqu’il replace la nature au centre, nature qui devient le lien intangible qui guide la narratrice dans sa quête, dans son chemin vers l’âge adulte et vers le désir. La nature qui berce, qui protège, qui englobe.
« Je suis née à Locla-yom. J’ai éclos des confins de la nuit. J’ai défroissé mes fleurs sessiles pour naître dans le vent. Je me suis ouverte dans le soleil et le sel. Je me suis renforcée dans la terre et le quartz de Locla-yom ».
Mais Douna Loup rappelle également que la nature est un trésor fragile, maltraitée par l’humain·e, par les usines et par nos désirs incessants de grandeur qui traversent le texte. Critique de notre capitalisme fulgurant, sans pour autant incorporer une dénonciation criante, Douna Loup attire l’attention, subtilement, sur l’importance de prendre soin de cette nature, dans laquelle il faut s’enraciner à nouveau :
« Nous disparaîtrons dans les cours d’eau pour célébrer les sources et nous ne nous souviendrons plus de tout le reste, de tout le superflu, le gaspillage, que nous avions inventé jusqu’à l’épuisement, jusqu’à le hisser à la hauteur d’un art. L’art qui nous aura conduits à la chute nous l’oublierons pour renaître nus dans les cours des fleuves, pour savourer la force des volcans. »
Sans crier, en murmurant, c’est à une révolution que Les Printemps sauvages appelle donc. Une révolution du regard, mais aussi une révolution des actes. Ce livre s’attaque à déconstruire le monde tel qu’on le connait, tel qu’on le vit. Par exemple, la notion binaire du genre est démantelée par le personnage de Barnabée, femme-homme qui incarne l’éclosion du désir de la narratrice. Barnabée illustre la liberté d’être « genre » ou de ne pas l’être, sans brutalité aucune. La beauté du corps humain, de sa fluidité, de ses flux et reflux, devient, sous la plume légère de Douna Loup, une évidence et le genre varie aussi bien dans le personnage de Barnabée que dans les mots et les pronoms qui se mixent peu à peu.
« Alors j’ai commencé à m’immiscer en lui·elle, à soulever ses jambes, à glisser ma langue, mes doigts partout, il était si beau son corps mélangé, son corps qui ne s’était pas décidé entre les deux sexes. Il m’époustouflait. »
Les Printemps sauvages, c’est encore un appel à la liberté. La liberté d’être, de penser, de sentir. Dans ce texte, l’esprit se mêle à la nature, se détache de ses chaînes, s’incarne vivement dans le corps qui exalte ses désirs. Cette recherche s’inscrit dans la réflexion construite par Douna Loup dans d’autres textes, tel Déployer qui appelait à la relativité des regards et à l’acceptation des êtres. En 2019, dans le cadre des journées littéraires de Soleure, j’avais pu interviewer Douna Loup qui avait utilisé les mots suivants pour décrire son texte, mots qui entrent en parfaite harmonie avec Les Printemps Sauvages : « L’amour, c’est », m’avait-elle dit, « être émerveillé·e et laisser l’autre dans sa liberté et dans sa beauté ».
Les Printemps Sauvages, c’est enfin un texte de l’amour, dans toutes ses formes : amour de soi, amour charnel, amour de l’humain·e, amour de la terre. Et il n’est pas besoin de beaucoup de mots ou d’un style grandiloquent, la simplicité poétique de Douna Loup se suffit amplement à elle-même :
« Je remercie la nature qui est l’image de cette coexistence simple et tranquille de tout, qui est la luxuriante variété des espèces, la toute acceptante. »
Douna Loup, Les Printemps sauvages, Chêne-Bourg, Éditions Zoé, 2021, 160 pages, 24 CHF.