Le roman des Romands

Cérémonie de remise du prix du Roman des Romands, Yverdon-les-Bains, théâtre Benno Besson, 23 janvier 2018.

9ème édition du prix suisse du Roman des Romands, lancé en 2009 par Fabienne Althaus Humerose. Enseignante et déçue que le sacro-saint programme du secondaire II ne lui laisse pas le temps de présenter à ses élèves ce qui s’écrit aujourd’hui en Suisse (romande), Madame Althaus Humerose décide de créer la possibilité d’une place pour la littérature suisse contemporaine. Et elle propose aux étudiants non seulement de lire, mais surtout des rencontres entre les classes et les auteurs, les autrices sélectionnés. Son projet est de faire entrer la littérature dans la vie des élèves par d’autres portes que celles de la lecture-obligatoire-pour-l’examen des cours de français. Au sein des classes, les élèves lisent et débattent avant de rencontrer d’autres classes pour confronter leurs avis. Ils rencontrent des éditrices, des bibliothécaires, … et les auteurs les rencontrent !

Pour être de la liste, les ouvrages doivent être écrits et publiés récemment en Suisse romande. Cette année, les jeunes marathoniens de la lecture ont lu des romans d’auteurs confirmés : Monsieur et Madame Rivaz de Catherine Lovey publié par Zoé, Lève-toi et Marche de Joseph Lamoth chez Bernard Campiche, Country d’Antoine Jaccoud aux Éditions d’autre part, Permis C de Joseph Incardona paru à BSN Press et Confidences de Max Lobe publié chez Zoé. Mais également trois premiers romans : Hiver à Soksho de la Jurassienne Élisa Shua Dusapin paru chez Zoé, Les Caractères du Fribourgeois Bastien Roubaty publié aux Presses Littéraires de Fribourg et Vivre près des tilleuls du collectif littéraire l’AJAR publié chez Flammarion. Nouveau-né suisse romand, ce groupe d’amis pratique la performance et l’écriture à plusieurs mains, il joue des possibilités de la création littéraire et fait exploser la notion d’auteur puisque sous le nom fictif d’Esther Montandon se sont réunis pas moins de 18 écrivaines et écrivains – le collectif compte une vingtaine de membres actuellement.

Le 23 janvier, au théâtre Benno Besson d’Yverdon-les-Bains, c’est la remise du prix. Personne ne connaît encore le nom de la lauréate ou du lauréat, à part quelques privilégiés membres du comité. Effervescence dans le foyer : tous les membres du jury sont là, avec leurs professeurs.

Et ce jury adolescent ne se contente pas d’avoir lu en marathonien, d’avoir rencontré les auteurs et d’avoir débattu en classe puis en délégations, non ! c’est aussi lui qui anime la cérémonie. Dans les toilettes des filles, on se mascarate les cils, on se poudre les joues ou on se costume, on se trouve bien dans un théâtre.
Dans la salle, les lecteurs, chanteuses, comédiens qui vont prendre part à la cérémonie occupent les premiers rangs. Puis viennent les autrices, auteurs, journalistes, professeurs ou éditrices, avant l’ensemble du jury – pas moins de 500 gymnasiennes et gymnasiens !
Sur la scène, ils sont cinq et ils jouent du jazz sous un écran qui fait défiler des photos des classes jurées, des photos des auteurs à leurs dix-sept ans, ainsi que des citations tirées des huit livres sélectionnés.

Après lecture d’extraits des romans, les discours officiels ne durent pas trop. Les intervenants montent les marches accompagnés par l’orchestre, on ne perd pas le rythme. A partir des textes lus, les élèves ont laissé parler leur créativité : deux courts-métrages, un morceau samplé en live, des lectures, un jeu qui consiste à reconnaître des extraits des romans traduits en italien, en anglais et en espagnol, un chant a capella, une mise en scène. Au fil des interventions, on sent une belle énergie mise à s’emparer des livres, à presser leur contenu vers l’extérieur, à s’en saisir, à créer aussi ; on voit s’abîmer l’image d’une « Littérature » difficile d’accès.

L’attention de la salle est d’une très belle qualité, les applaudissements toujours fournis. La voix d’une des lectrices se dégonfle au moment de lire le mot « testicule » : la salle applaudit et crie son soutien. Malgré les efforts bienveillants du public, la lectrice reprend au mot suivant.

Le Prix « des Romands » se dessine plus largement comme un prix de jeunes lecteurs suisses. En effet, une classe de la Suisse italienne et une classe biennoise sont de celles qui mènent la cérémonie. Des élèves déclarent leur amour aux trois finalistes que sont Un hiver à Soksho d’Élisa Shua Dusapin, Les Caractères de Bastien Roubaty et Permis C de Joseph Incardona. Et enfin, comme pour confirmer que l’identité du Prix glisse de « romande » à « suisse », les élèves ont élu …

Permis C de Joseph Incardona !

L’auteur monte les marches au rythme donné par l’orchestre – rythme dont il est le seul à profiter pleinement. Dansant son arrivée sur scène, il a la joie étonnée du gagnant ! « Un peu ému quand même », l’auteur de ce roman sur l’intégration attribue son trouble à la particularité de ce prix, à la jeunesse des lecteurs qui l’ont consacré. Comme Antoine Jaccoud qui avait avant lui pris la parole au nom des auteurs, il dit son plaisir d’avoir pu rencontrer ces jeunes lecteurs, et d’avoir reçu leurs voix.

Grâce à la participation des élèves, la cérémonie file à grande vitesse – et on ne s’attend pas toujours à ça au moment de se rendre à une cérémonie officielle. On peut en calculer la réussite de cette neuvième édition du Prix du Roman des Romands en additionnant l’engouement de la salle, l’émotion de tous, la vitesse de passage de ces deux heures assis, l’engagement des élèves et les projets pour la dixième édition. Il sera proposé aux jeunes jurés d’augmenter leur connaissance de la chaîne du livre en rencontrant, en plus des auteurs, des journalistes littéraires et en visitant des maisons d’édition romandes.
Bientôt dix prix remis, bientôt vingt ? On souhaite à ce prix d’avoir encore de belles années devant lui – ce qui dépend plus de l’engagement des enseignantes et enseignants que de la motivation des élèves, rappelle Fabienne Althaus Humerose.

Emma Schneider

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