Place aux créateurs !

Au beau milieu de cet hiver, la jeune revue trimestrielle La cinquième saison a publié son deuxième numéro sous le titre À pierre fendre. La publication propulse la littérature romande hors de ses régionalismes étroits et exalte son universalité, sa littérarité, tout en conservant sa variété.

L’éditorial de Christophe Gaillard s’ouvre sur le problème de la définition de la littérature romande, sur son autonomie et son identité à l’intérieur d’un espace éditorial francophone de plus en plus globalisé et toujours en relation avec l’hexagone. Une question non seulement pertinente, mais nécessaire, car elle problématise l’un des piliers à la base de toute culture, à savoir sa propre littérature. La réponse est laissée à Bastien Fournier avec « Notre Littérature », le second volet de l’introduction de ce numéro. Fournier reconnaît l’universalité de la Littérature (« Un écrivain n’a pas de patrie »), néanmoins, l’amour pour la Romandie l’emporte : « Notre romandité nous pousse à aimer, à qualité égale, un livre romand plus qu’un livre étranger, à nous irriter davantage d’un compatriote médiocre que d’un médiocre à l’autre bout du monde ». Si une littérature proprement romande est une question sans doute impossible à définir, l’existence d’un « milieu littéraire romand », même fragmenté, se constate aisément. Ainsi, la réponse de Fournier ne se limite pas à une explication théorique, mais légitime l’effort de La cinquième saison qui se veut la caisse de résonance de cette production romande qui ne demande qu’à être découverte, diffusée.

Mais quel genre de littérature La cinquième saison veut-elle populariser ? « Notre littérature » est à cet égard exemplaire. Dans ce plaidoyer en faveur de la littérature romande le langage poétique s’entremêle avec la critique ; de la même manière la revue occupe une place hybride dans le milieu littéraire romand. Avec plaisir, lors de ma première lecture j’ai découvert la juxtaposition de textes créatifs et critiques, le tout enrichi de quatre illustrations d’Albertine qui séparent les sections du recueil. De ce fait, la revue se constitue comme pont entre les études académiques et la création contemporaine : un choix heureux qui offre une vision d’ensemble du milieu littéraire romand, avec toute sa richesse et multiplicité, à un public ample.

Dans la première partie de la revue, le lecteur rencontre la fantaisie polymorphe de ce « milieu littéraire romand ». Il s’agit d’une série de petites narrations qui font preuve d’une imagination qui explore l’intimité de la conscience humaine dans son rapport à soi-même, à l’autre, à la nature et à la mort. On ne s’ennuie pas à parcourir ces mondes fictifs : parfois classiques comme les narrations en prose d’Anne Bottani-Zuber, Michel Layaz, Céline Cerny, Philippe Graf, Sacha Després ou Pablo Jakob ; d’autres plus inattendues, comme le poème-chansonnette de Pierre-André Milhit, à lire et à écouter, mais aussi le flux de conscience de Ivan Salamanca et de Laure Federiconi,  ou encore les vers libres de Thierry Dubois, sans oublier le drame de David Amherdt. Une richesse de voix qui se clôt par la section « Poésie » rassemblant trois poèmes de Antonio Rodriguez, Stéphane Montavon et Stéphane Blok.

En seconde partie, la section « Critique » fournit un aperçu du panorama de la littérature romande contemporaine. D’une revue qui a comme objectif de promouvoir la littérature romande, on pourrait s’attendre à ce qu’elle ne fasse qu’encenser ses livres bien aimés. Pourtant, ce n’est pas le cas. Les chroniqueurs lancent parfois des piques lorsque la critique l’exige, tout en favorisant la découverte plutôt que l’évaluation. Le but de la revue est bien de donner la parole à toute voix romande, sans hiérarchie préétablie. Dans l’article « Le marché de la littérature, la création libre et la poésie », Frédéric Wandelère interroge l’influence commerciale et culturelle des grands médias et des institutions politiques. Il dénonce une mentalité trop débitrice du marketing et des lois du profit. La cinquième saison se propose, très justement et avec succès, comme contrepoids à cette logique : un bastion de la littérature romande qui ne se soumet pas au diktat du nombre de copies vendues. Particulièrement bien trouvée, la rubrique « Le livre que je n’ai pas lu » présente un aspect normalement oublié de la littérature, c’est-à-dire, tous ces livres qui font partie de notre bagage culturel mais qu’on n’a jamais lus. Il est intéressant, voire amusant, de découvrir qu’on ne peut ou qu’on ne veut pas tout lire dans une revue qui encourage à la lecture ! Néanmoins, on connaît certains livres tout de même : ils habitent, d’une manière ou d’une autre, notre imaginaire et notre mémoire.

À pierre fendre, deuxième numéro de La cinquième saison, offre un passionnant voyage dans le milieu littéraire romand. On y trouve une diversité de voix, rythmes, styles, et, finalement, pensées qui stimulent autant l’esprit que le désir de lire davantage. J’ai découvert une revue fraîche et engageant qui atteint son objectif fondamental : faire connaître à 360 degrés le milieu littéraire romand. J’attends alors le prochain numéro, pour continuer cette exploration d’un monde aussi varié dans les différences de ses écrivains que cohérent dans leur attachement à leur terre natale.

Daniele Frescaroli

 

La Cinquième Saison. Revue littéraire romande, no 2, janvier 2018. 176 pages.

(Ed. Association de La cinquième saison, 1800 Vevey. Direction littéraire : Cédric Pignat. Comité de rédaction : Cédric Pignat, Julien Sansonnens, Christophe Gaillard, Arthur Billerey)

Fr. 15.-. Abonnement annuel : Fr. 50.-

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