Calligraphie(s) du Corps : du geste à la trace – Rencontres sensibles au festival littéraire nyonnais LES INTIMES

Un samedi en fin d’après-midi, nous pénétrons dans l’enceinte du château de Nyon, gravissons un grand escalier en colimaçon – escargot qui se déroule et se déploie sur la verticalité. Après cette première mise en corps, difficile de faire abstraction de cette légère tension dans nos mollets, nous arrivons, enfin, dans une des salles du château percée de fenêtres à grands rebords ; plus tard je ne résisterai pas à la tentation de m’y asseoir pour observer, de l’autre côté de la vitre, l’étendue bleue parsemée de voiles blanches : le lac dans sa robe de début de soirée.

Mais pour l’instant, il faut rejoindre la petite foule déjà assise, et attendre quelques minutes Véronique Mermoud qui ne tardera pas à nous offrir une lecture toute personnelle, au travers d’extraits choisis par ses soins, duJournal d’un corps de Daniel Pennac. Se dévoile à nos oreilles l’histoire d’un corps de la vie à la mort au rythme des cordes sensibles d’une violoniste assise à même le sol, sourire rouge éclatant et petits airs féériques. L’archet ponctue le texte qui prend vie au creux de la voix de Véronique, on sourit jusqu’aux rires, jusqu’aux larmes parfois, aussi. Par le souffle de la voix, les vibrations du violon et les choix de la lectrice, le texte se révèle dans une dimension autre qui avait échappé à mes yeux lors d’une première lecture solitaire et silencieuse, dans une édition illustrée par les dessins de Larcenet. Désormais, il s’est inscrit quelque part au creux de mes oreilles : il fait sens.

Cette lecture a eu lieudans le cadre du festival littéraire nyonnais qui a vu le jour grâce à Brigitte Ravenel, mezzo-soprano qui depuis plus de dix ans lui donne son identité, son caractère et son existence. Cette année il a pour thème majeur le corps. Ce choix n’est pas anodin, il a été inspiré par les œuvres de l’artiste nyonnais auquel on rend hommage : Pierre-Alain Bertola.

C’est d’ailleurs au cœur des œuvres de celui-ci que nous nous retrouvons le dimanche matin, pour partager une autre lecture : un texte terrible, déchirant. Véronique Mermoud prête sa voix aux maux d’Emma Santos. L’occasion de la rencontrer à nouveau, nous confie-t-elle. Elle l’avait déjà interprétée dans un décor de blancheur lors de la première mise en scène de Gisèle Sallin, à l’aube du théâtre des Osses.

Au rythme de la voix, le regard se perd sur les œuvres qui nous entourent, gigantesques, monstrueuses, faites de corps torturés, et rouges, inspirés par Foucault, Rimbaud ou encore Frankenstein. La dernière page tournée, le dernier mot prononcé, l’assemblée rend hommage et remercie la lecture par un long silence, les regards se croisent, les souffles sont coupés. Et puis les langues se délient et se confient. LES INTIMES c’est aussi l’occasion de se partager et de se rencontrer au travers de textes.

Notre dernier rendez-vous de cette édition 2018 se déroule le 28 juin – nuit de pleine lune. LES INTIMES s’achèvent par une explosion des sens : un concert en musique et en images. Ainsi après avoir donné, le temps d’une soirée, voix et corps à Charlotte Salomon (2017) et avant cela à Aloïse (2016), celle qui se rêvait cantatrice, à l’hôpital psychiatrique de Gimel, aux travers de mots et de dessins, cette année les murs du château s’habillent des œuvres de l’artiste Pierre-Alain Bertola, à l’intérieur grâce à une exposition temporaire et exceptionnelle, et à l’extérieur, sur la pierre blanche, par une projection – fin épiderme éphémère – accompagnant un quintette instrumental mené par le oud et le qanun et porté par deux voix lyriques. Ainsi, nous découvrons dans une soirée d’été, à mesure que le soleil se dissimule pour laisser, par le noir, naître la lumière, des œuvres choisies de Bertola mettant en scène des corps ; ceux dessinés bien sûr mais également un autre corps que l’on devine, celui de l’artiste lui-même – encrage de mouvements en devenir calligraphie.

Festival littéraire, LES INTIMES nous offrent ainsi une vision autre du texte, un regard qui le traverse et brise ses limites, à l’image du trait de Bertola, à la frontière de la danse et de la calligraphie, qui avec un seul geste peut nous raconter les secrets dissimulés dans l’ondulation des courbes féminines aux formes végétales. Une invitation à découvrir ou redécouvrir des textes au travers de ce que nous possédons de plus intime : nos corps.

 

Crédits photographiques :

Pierre-Alain Bertola,
Série portraits de femme, 1998 (?), Crayon de graphite avec rehauts à l’encre de chine sur papier, 70 x 50cm
Photo: Marc-André Gentinetta

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