Le vent nouveau des revues au Livre sur les Quais de Morges

Il y a une grande tente d’un côté, remplie d’auteures et d’auteurs, et de l’autre côté deux autres tentes remplies d’auteures et d’auteurs. Le festival du Livre sur les Quais de Morges fait une nouvelle fois la part belle aux dédicaces. Il semble que ce soit là l’essentiel. La rencontre. Un processus en trois temps : 1) choisir un livre (sur des critères tout à fait objectifs comme « ila de beaux cheveux ; elle est passée à la télé »), 2) demander à ce que l’écrivain – dont le nom figure surla couverture – écrive son nom sousla couverture, 3) passer en caisse. Quelquefois, une discussion est entamée, il y a même de bons échanges dans le temps imparti que permet une tente étroite, où lectrices et lecteurs se bousculent d’impatience pour obtenir eux aussi cette exclusivité. Il fait chaud malgré le temps maussade du week-end, peu d’air circule. Le lac n’y fait rien. Au moins, un stand de gaufres diffuse à proximité.

Les quelques écrivains que je connais me racontent leur fatigue. Lui a pris le train depuis Bienne et le reprendra ce soir, elle a enchaîné deux tables rondes et trois rencontres presse. Six heures de présence à la table aujourd’hui. Ici, personne ne conteste qu’il s’agisse d’un vrai métier et qu’il manque toujours des rémunérations décentes, « c’est en train de changer, entend-on, pour cette année, c’est encore comme ça ». L’écrivain a l’habitude d’espérer. Heureusement, sa légitimité ne passe que rarement par son salaire.

La légitimité, la reconnaissance, voilà des mécanismes artistiques bien peu maîtrisables pour un auteur. L’un de ces mécanismes est souvent négligé, voire dédaigné : la revue littéraire. La vraie consécration pour un ou une écrivain, il faut se le dire, est d’être l’objet, le thème, d’un numéro de revue. J’en prends pour preuve le magnifique numéro de la Revue de Belles-Lettres consacré à Anne Perrier, numéro hommage, numéro panthéonique. La voilà, à tout jamais, une figure majeure de la poésie suisse.

« Moi j’aime pas Anne Perrier ! » me déclare sans détour (et sans préparation non plus) une passante. C’est aussi ça, le Livre sur les Quais, des commentaires à la volée. À Morges, pour la deuxième année, Pro Helvetia initie un stand des revues littéraires romandes. Elles sont toutes là : les plus consacrées (la RBL, Viceversa), les plus créatives (Hippocampe, l’Ours Blanc), les plus régulières (La couleur des jours, le Persil), les dernières venues (L’Épître, la Cinquième Saison). C’est un stand collaboratif tenu à tour de rôle par les différents éditeurs. Je prenais mon quart le dimanche après-midi. Et cette passante, surprise de voir un livre célébrant Anne Perrier, répète : « J’aime pas. J’ai lu, j’ai pas aimé. J’ai été son infirmière il y a trente ans, alors je me suis dit je vais lire Anne Perrier et j’ai pas aimé. » Avant de continuer son chemin, elle se dirigeait vers les gaufres. Le stand des revues est entre les deux tentes de dédicaces, dans un couloir, les visiteurs passent en coup de vent, jaugent de loin. Des regards pleins de curiosité sont parfois déposés délicatement sur la pellicule des couvertures.

Mais l’enjeu n’est pas là : les revues ne se risquent pas à des ambitions commerciales. Les auteurs s’y arrêtent et discutent, envisagent un texte pour un prochain numéro, saluent le travail fait par les revuistes. Le matin, une table ronde animée par David Collin tentait de déceler les tenants si spécifiques du rapport entre critique et écrivain et la conciliation à négocier lorsqu’une personne endosse les deux rôles. Jean-Baptiste Para, rédacteur en chef de la revue française Europe, était invité à décrire le rôle de la revue. La conclusion était limpide : « Les revues sont comme l’anticyclone des Açores sur l’Europe littéraire : elles semblent lointaines et imperceptibles, mais ce sont elles qui définissent la météo ici-bas ». L’on peut bien penser que les revues ne produisent que du vent, mais encore faut-il se rendre compte qu’il s’agisse d’un vent plus que jamais nécessaire pour faire circuler l’air et semer les bonnes graines.

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