Un monde en catastrophe

« Et l’idée de la voir s’effondrer, cette ville, avec toutes ses pierres, ses voitures et ses habitants, l’idée du vide qui viendrait après sa mort, du néant replié sur toutes ses rues et ses existences, alors, me hante. »

Dès la première page, Thomas Flahaut annonce l’enjeu de son premier roman, la catastrophe. Un tremblement de terre provoque un accident à la centrale nucléaire de Fessenheim, en Alsace. Les villes sont abandonnées petit à petit, les paysages se vident. Le narrateur, Noël, et son frère, Félix, font partie des évacués de Belfort, placés dans un camp à l’extérieur de la ville. L’errance des deux personnages commence dans un pays désert et marqué par la catastrophe omniprésente. En voiture jusqu’à Strasbourg où tous leurs repères ont disparu, les deux frères essaient de trouver un sens à leur voyage et à leur existence dans un monde soudainement transformé.

 

I am the passenger, I stay under glass

En épigraphe du livre, un extrait de The Passenger d’Iggy Pop, à l’image du narrateur, passif devant les événements. Le récit à la première personne nous plonge dans la subjectivité de Noël, maladroit, inactif et pourtant parfaitement apte à saisir le monde qui l’entoure. Sa personnalité fragile et timide suscite l’empathie et on se prend souvent à s’identifier à lui, comme à son malaise et à sa jalousie face au succès de Marie en boîte de nuit, une jolie rousse au sujet de laquelle les deux frères sont en compétition : « Je ne veux pas danser, parler sourire. Ce que je veux, c’est être jaloux du rougeaud qui ne s’écarte pas de Marie pendant que Félix la serre dans ses bras, qu’elle glisse un mot dans son oreille. » Noël ne s’impose pas ; il préfère partir en espérant qu’elle le retiendra.

On pense à Meursault dans L’Étranger de Camus. C’est vrai, Noël lui ressemble un peu. Mais il est plongé dans une réalité changeante : un avant et un après catastrophe, deux réalités où il tente de s’affirmer, de se créer une identité. Cependant il reste souvent comme le passager d’Iggy Pop, derrière une vitre, à voir se dérouler le paysage vide, sans agir.

 

Une réalité en décadence

Bien que divisé en six parties, le livre laisse entrevoir une structure en trois temps. Le premier, avant la catastrophe : la relation délicate entre Noël et Félix, mélange de rivalité et attachement. Mais aussi l’enfance à Belfort, la fermeture des usines Alstom, la classe ouvrière. Le second temps, dans le camp : tout est en suspens. Les informations ne passent plus, la vie du monde extérieur encore moins. En compagnie des détenus évacués de la prison de Belfort, les réfugiés attendent et se déshumanisent, entourés de militaires silencieux. La chasse à l’évadé est applaudie lorsqu’un des prisonniers tente de s’enfuir. Et puis le troisième temps, l’errance des deux frères dans l’ancienne Golf de leur père. Belfort abandonnée, puis Strasbourg, ne restent que les vestiges d’un passé qui semble leur échapper.

Ce monde à la fois inatteignable et en décomposition est mis en évidence par une écriture simple et épurée, presque sèche. Les dialogues sont rapides, les personnages au fond n’ont rien à se dire. La réalité est rendue froidement, même lorsqu’il est question d’un viol : « Elle recule à chaque pas des soldats, jusqu’à se retrouver dos au mur. Ses cris ressemblent à des hoquets. Ils l’empoignent, la soulèvent, l’allongent sur le banc. Elle pleure mais son corps est rigide et immobile comme celui d’une morte. Ils ne parlent pas. » Le lecteur, comme le narrateur, y assiste, impuissant.

Ostwald place le lecteur dans cette position de passager, témoin d’une catastrophe et des vagabondages de deux frères en quête de sens et d’identité. De l’exploration de la psyché de Noël à l’exploration des villes désertées, c’est l’histoire de deux rejetons d’une classe ouvrière délaissée que nous offre Thomas Flahaut ; l’exploration de deux individus qui se réalisent dans un monde en crise, en catastrophe. Un premier roman remarquable qui sait captiver par son mélange de tendresse et de violence.

 

 

Thomas Flahaut, Ostwald, Éditions de l’Olivier, 18.90 CHF.

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