À tâtons dans la fugacité

Felix Degaliers, étudiant en médecine, est à la recherche delocataires pour reprendre l’appartement de sa mère décédée il y a peu.

Très vite, la famille d’un avocat non seulement emménage dans l’appartement de Felix mais s’invite aussi dans son existence. Dans son dernier roman La ville décalée* (« Die verschobene Stadt »), Christian Zehnder esquisse une toile de relations volatiles sur fond de paysage urbain tout aussi fugace.

 

Lorsque Felix déménage à Lausanne, c’est uniquement pour s’occuper de sa mère malade. Aussi n’est-il pas surprenant qu’il se sente particulièrement déboussolé après sa mort ; commence alors une déambulation tâtonnante à travers cette ville qui ne cesse de lui sembler étrange. C’est ainsi que commence l’intrigue du dernier ouvrage de Zehnder, Die verschobene Stadt. Au fil de ses déambulations, Felix croise différents personnages qui surgissent à plusieurs reprises tels des feux follets : il y a Helena, la timide qui, soudain, cherche à renouer le contact, et Geneviève, sa camarade d’études ambitieuse et inaccessible. Plusieurs rendez-vous se donnent mais il ne se passe étrangement jamais rien ; les personnages repartent impassibles emportant néanmoins, à chaque fois, un sentiment de décalage de soi, comme écartés du monde. Certes, Felix éprouve une certaine affection amoureuse pour ces femmes, mais leurs liaisons restent fugitives.

 

 

Un réseau de relations

En revanche, la relation avec ses locataires, l’avocat Frederic Nyberg et sa famille, s’intensifie ostensiblement : Felix s’occupe de plus en plus du fils des Nyberg. Lorsque Frederic engage Helena pour devenir son assistante, des liens semblent se nouer aussi parmi l’entourage de Felix. Quelque temps après, Nyberg décide de s’installer en Grèce ; sa femme et son fils le rejoindront plus tard. Un jour, après avoir croisé fortuitement la femme et le fils de Nyberg, Felix débarque brusquement chez eux. Le voilà donc qui réemménage, avec eux, dans l’appartement de sa mère. Jusqu’au jour du départ, la relation entre la femme de Nyberg et Felix ne cesse de balancer entre fatalité d’une communauté d’infortune et promesse d’une attirance défendue. À la fin de ses études, Felix, enfin plus sûr de lui, se rapproche de Geneviève qui, autrefois si déterminée, semble entre-temps errer à son tour à tâtons dans la ville.

 

 

Constance volatile

L’égarement, la dispersion – le décalage de soi – sont des motifs récurrents dans ce quatrième ouvrage de Zehnder. La vie d’un individu se transforme en un lieu où d’autres personnes apparaissent, passent et disparaissent. L’espace réel de la ville, Lausanne, en revanche, continue impassiblement de mener sa propre existence et dévoile ses métamorphoses – tout comme le style de Zehnder. Des passages étranges et irréels alternent avec des descriptions pointilleuses : certains événements à l’image des personnages semblent flotter, tels des images oniriques avant de s’effacer. La ville décalée reste mystérieuse et indiscernable. On ne se lasse jamais de lire ce roman malgré son caractère manifestement énigmatique. Zehnder parle de choix et de contingence, de proximité et de distance, d’entrevues et de disparitions, de manière floue parfois, parfois ardue mais toujours sereinement. On est fasciné par ces retournements inattendus – aussi bien au niveau du contenu que de la langue. La banalité de l’extraordinaire, c’est ça, justement, qui envoûte le lecteur.

 

Christian Zehnder, né à Berne en 1983, a fait des études de littérature et de philosophie à Fribourg et Munich. Il travaille à l’Institut de Slavistique de l’université de Fribourg. Après des séjours de recherche à Saint-Pétersbourg, Moscou, Varsovie et Chicago, il vit aujourd’hui à Berne. De sa plume ont déjà paru les nouvelles et romans Gustavs Traum, Julius et Die Welt nach dem Kino.

 

 

Jana Bersorger

 

[Traduit de l’allemand par Camille Hongler]

 

Christian Zehnder : Die verschobene Stadt. 208 pages. Salzburg : Otto Müller Verlag 2019, 34 CHF.

 


*Proposition de la traductrice

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