« Le Cristal de nos nuits » : une mémoire littéraire

En parallèle de sa carrière de médecin, le vaudois Frédéric Lamoth est aussi l’auteur de sept romans ou recueils de nouvelles publiés chez Bernard Campiche : La mort digne en 2003, Les Sirènes de Budapest en 2004, Orion en 2008, Sur fond blanc en 2013, Lève-toi et marche en 2016 et enfin, celui qui nous intéresse ici, Le Cristal de nos nuits cette année.

 

Une mystérieuse Allemande assise à une terrasse, un soldat désarticulé dans la neige, la fosse aux ours de Berne endeuillée, la guerre aux frontières, une croix gammée perdue dans les Grisons, un musicien rêveur et nostalgique, un étang ridé par le vent et une fenêtre qui se brise dans la nuit se succèdent au fil des pages de cette septième publication de Frédéric Lamoth comme autant de petits tableaux vivants du quotidien suisse durant la Deuxième Guerre mondiale.

L’unité du recueil repose sur les lieux et l’époque que les nouvelles décrivent. Au début du livre, l’auteur reproduit des extraits de quotidiens romands, le Journal de Genève et la Gazette de Lausanne, qui présentent des anecdotes, des faits anodins sur la vie de tous les jours durant les années quarante. Tout le projet du Cristal de nos nuits est là : l’auteur veut faire revivre la mémoire de cette pesante époque grâce à la fiction et au récit. L’idée de mémoire est en effet omniprésente, elle traverse tous ces tableaux littéraires. Mais attention, Le Cristal de nos nuits n’est pas un roman historique, ni un livre d’historien. Frédéric Lamoth prend un autre angle : « Ici l’histoire est intime ; elle se transmet au porte à porte. On la murmure dans les alcôves. Elle est semblable à ces petites lumières qui veillent derrière la façade, entre des cloisons hermétiques, dans des pièces qui ne communiquent pas entre elles ».

Les nouvelles sont prenantes et l’attention du lecteur vite captée. Le second texte, qui narre l’attente pénible d’un éventuel ennemi et la mort accidentelle d’un soldat pendant la mobilisation aux frontières, en est un bon exemple. On y ressent le désœuvrement, l’ennui et l’isolement du narrateur. Frédéric Lamoth ne se prive d’ailleurs pas de quelques tentatives poétiques : « Au-delà du pont, c’était la mer des pâturages. Les vagues vertes, figées sous le soleil. Le silence… Notre terrain d’entente, où l’on s’ébattait comme les poissons muets. Le vol d’une guêpe nous interpellait avec des points de suspension ». Le seul bémol qu’on pourrait relever est le manque de saveur des dialogues qui semblent par endroits un peu artificiels.

À travers ces sept saynètes qui se suivent et se complètent, l’auteur nous donne une image littéraire d’une Suisse à l’ombre de l’inquiétant Troisième Reich. Frédéric Lamoth réussit son projet de revisiter un pan de l’Histoire helvétique avec Le Cristal de nos nuits.

 

Julien Philippoz

 

Frédéric Lamoth, Le Cristal de nos nuits, Bernard Campiche Éditeur, Août 2019, 135 pages, 27 francs.

Laisser un commentaire