Signée Jérôme Meizoz, la chronique caustique Absolument modernes ! a des airs de rictus désenchanté. Critiquant pêle-mêle croissance illimitée et culte du marché et de la technique, l’écrivain retrace l’histoire de la modernité suisse des années 1970 et 1980, avec pour fil conducteur son ouvrier de père, contemporain des Trente Glorieuses et fervent amant de la modernité. Sur un ton tantôt satirique tantôt grave, Meizoz évoque la folie de ces années sur notre bon vieux sol helvétique : le Rhône accouche d’une autoroute, les supermarchés font leur grande apparition, les touristes se jettent sur les Alpes et on se met à dresser des autels en l’honneur de la télé et de la tuture.
Le règne de la modernité s’articule en mythe du désenchantement, et la culpabilité d’un Dieu passif n’y échappe pas. Créateur d’un monde qu’il abandonne lâchement à l’humanité, la drôle de figure divine revient systématiquement s’infiltrer dans les pages, faisant chaque fois preuve d’une indifférence rance. Meizoz décrit un capitalisme suisse AOC, certifié 100% helvétique, avec des relents de campagne et de vaches à traire :
Et le capitalisme garde ici cette odeur d’écurie.
C’est pourquoi mille expressions marient ici l’art laitier et l’argent :
– Mes économies ont fondu et j’ai fini le mois raclette.
– Tu es une vraie râpe !
– Ce truc, c’est ma vache à lait !
L’écrivain s’interroge sur le début de la désillusion face au tout-puissant « progrès ». Quand est-ce que les femmes et les hommes ont-elles·ils cessé de croire en la modernité ? Et plus fascinant encore, comment ont-elles·ils pu jamais y croire ?
– Croissance ! croit sens ! croâ cens !
La période de la Fière avancée, dite aussi Les Glorieuses, apporte son lot de salles de bains, d’appareils ménagers, de voitures et téléviseurs.
Et j’ai aimé ce progrès, de tout mon cœur de gosse, sans en connaître le contenu.
Plus tard m’est apparue sa face destructrice.
Armé d’un humour grinçant, Meizoz évoque les premières manifestations climatiques des années 70 qui, penaudes de constater la pollution de l’air et de l’eau, réalisent l’ampleur des dégâts du mythe de la croissance infinie. Et c’est le début de la chute, le joli verni du capitalisme se craquelle et bientôt le plus gros mytho du siècle se dévoile :
Le futur, soudain, semble inconsistant.
Délavées, les couleurs généreuses du progrès.
Désormais, nos têtes sont farcies de la crise,
du futur incertain, de films-catastrophes.
Ce qu’il y a de beau dans cette œuvre, c’est ce sentiment d’être gentiment mangé·e par les pages qui finissent par avaler toutes crues nos croyances les plus enfouies, à tel point qu’on se sent un peu plus nu·e à la lecture de chaque nouvelle chronique. On commence la lecture confiant·e pour finir entraîné·e dans une vague de désillusion alors même qu’on croyait déjà tout savoir.
Et Dieu de s’en foutre à outrance :
Qu’ils se démerdent un peu, maintenant, ces olibrius !
Jérôme Meizoz, Absolument modernes ! Editions Zoé, 160 pages, 24.-CHF.
Crédit photo : Fabrice Coffrini