Dans les profondeurs des eaux de ce roman bleu subsiste un animal marin, minuscule certes, mais doté d’une faculté surprenante, celle de suivre l’éternel roulement des vagues de l’océan azur du temps. Turritopsis nutricula est une méduse ayant pour particularité de pouvoir revenir du stade de maturité à celui de polype, ce qui la rend immortelle.
Laurence Saunier, femme de lettres brillante, fait la rencontre de cette méduse lorsqu’elle corrige les fautes d’orthographe du mémoire de master de sa petite-fille, Gaëlle, venue s’installer chez elle pour terminer ses études. Alors que la petite-fille voit en cet animal un simple sujet de recherche plutôt ennuyeux et insignifiant, la grand-mère, rêveuse et poétesse dans l’âme, prend conscience de toute la portée symbolique de turritopsis nutricula.
Ce roman est comme le vent marin qui souffle et nous ramène vers un autre roman précédent : Je suis mort un soir d’été où Silvia Härri avait pêché une pieuvre pour métaphoriser la pathologie de l’un de ses personnages qui tire les membres de sa famille vers le fond.
Dans Journal de l’oubli, Silvia Härri s’empare élégamment d’un autre animal marin pour nous introduire dans les pensées d’une écrivaine souffrant de la maladie d’Alzheimer. Au fil des lignes, celle-ci commence à répéter ses mots, les laisse incomplets, s’embrouille et finit par les perdre, tout comme elle perd sa mémoire. Mais c’est à travers la rédaction de son journal intime qu’elle parvient en quelque sorte à se rendre immortelle, car ce dernier prend à son tour la trajectoire de vie de turritopsis nutricula : il se construit et se déconstruit au rythme éternel des vagues de l’île de Noirmoutier.
Silvia HÄRRI, Journal de l’oubli, Orbe, Bernard Campiche, 2020, 208 pages, 30 CHF.