Anti-hommage à l’ancêtre

Qui aurait cru que les Suisses aient eu une telle importance lors de la Révolution française ? Les historiens, bien sûr, savent que de nombreux Helvètes habitaient la Gaule à l’époque moderne : mercenaires, banquiers ou simples exilés, ils y occupaient parfois des postes de haut-rang. C’est de ces Suisses que Daniel de Roulet nous parle dans Le bonnet rouge, son dernier roman.

« La Révolution française a été initiée dans notre patrie [Genève] il y a dix ans. »

Voyant en la Révolution genevoise de 1782 une racine solide de celle de 1789, de Roulet décide de suivre l’aventure du Genevois Samuel Bouchaye. À la suite de l’échec de la Révolution de 1782, écrasée grâce à l’aide des armées française, savoyarde et bernoise, Samuel et son père choisissent le chemin de l’exil.

Les pages qui retracent ces années de fuite verront Samuel sentir le vent de l’amour, la puanteur de la mort, les airs militaires des régiments helvétiques en France, l’odeur du sang, la condamnation aux galères, mais aussi le goût de la liberté. Un destin que Daniel de Roulet a choisi de romancer, faisant référence à quelques sources témoignant de la réelle existence de Samuel Bouchaye.

« Même si la Suisse n’en a jamais eu, de roi,

quand tu as donné ta parole d’en défendre un,

tu dois aller jusqu’au bout. »

À la manière d’un bon historien, l’auteur mène, non sans une certaine critique de la France et de sa période révolutionnaire, une recherche sur ces valeureux Suisses présents en France au moment du grand tournant de la fin du XVIIIe siècle. Mais à l’inverse des hommages classiques, de Roulet choisit de raconter l’histoire des soldats, et non celle des grands. Son intention est clairement affichée : le Marquis Jacques-André Lullin de Châteauvieux, commandeur du régiment suisse en France dont a réellement fait partie Samuel Bouchaye, est un ancêtre de l’auteur. Dégoûté par les faits et gestes de son aïeul, Daniel de Roulet décide de rendre hommage aux hommes ayant souffert et étant tombés sous les ordres du Marquis.

Ainsi, en évoquant le lac Léman, en mettant l’accent sur la figure de Samuel Bouchaye et de ses camarades qui ont connu le même sort des fers et que son ancêtre aurait « sacrifiés », Daniel de Roulet veut rendre hommage à sa région natale et à son peuple, tout en exécutant avec brio un anti-hommage à celui qu’il traite d’« opportuniste » : son aïeul, le Marquis de Châteauvieux.

« aux moins fortunés,

seule la littérature

rend la parole. »


Daniel de Roulet, Le bonnet rouge, Héros-Limite, Genève, 2023, 154 pages, 21,60 CHF.

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