Aller-retour : regards croisés sur un festival biannuel

La littérature et la traduction peuvent-elles être des ponts vers d’autres régions ?

Le festival « Aller-retour » consacré à la traduction a eu lieu cette année dans le cadre du 50e anniversaire de la collection CH. Les festivités ont été lancées lors d’un débat public : la littérature et la traduction peuvent-elles être des ponts vers d’autres régions ? Animé par Claudia Appenzeller, le débat tournait autour de l’anniversaire de la collection CH et portrait plus généralement sur sens donné à la traduction dans un petit pays ayant quatre langues officielles. 

Marina Carobbio Guscetti, directrice du département de l’éducation, de la culture et du sport du Tessin, a d’emblée tenu à souligner l’importance d’encourager la lecture et l’écriture à l’école, en affirmant que la traduction peut être vue comme un pont vers d’autres régions de la Suisse. À ses yeux, la lecture des auteurs et autrices suisses est impérative pour que les enfants puissent avoir un premier contact positif avec les livres écrits en Suisse. Velia Ferracini, doctorante à l’UniFR, rédige une thèse de doctorat sur la collection CH. Elle a évoqué le sentiment renversant face aux étagères de tous les livres de la collection CH. En même temps, elle est obligée de constater que la collection CH n’est pas suffisamment connue, même dans le domaine académique. 

Camille Luscher, traductrice au Centre de Traduction Littéraire de Lausanne, a insisté sur l’importance de la diversité, pas seulement par rapport aux thèmes traités dans les livres mais aussi par rapport aux auteurs et autrices et aux traducteurs et traductrices, non sans souligner qu’il est urgent d’améliorer la rémunération de ces derniers. La responsable de la revue Viceversa, Ruth Gantert, est elle aussi confrontée à la pénurie financière après la décision de l’OFC de supprimer le budget consacré à cette initiative. Un point qu’elle a souligné concernant l’anniversaire de la collection CH est qu’il y a certes des œuvres romanches qui sont traduites en d’autres langues officielles de la Suisse, mais qu’aucune œuvre n’est traduite en romanche. Elle pense que c’est un déficit dont il est nécessaire de prendre conscience. L’importance de la littérature et de la culture a aussi été soulignée par Reina Gehrig, responsable du département littérature chez ProHelvetia. Elle s’est prononcée en faveur du soutien à des auteurs suisses qui n’écrivent pas dans l’une des quatre langues nationales. Cependant, en termes de ressources financières disponibles, elle a dû reconnaître que ce n’était souvent pas possible.

La table ronde était vraiment captivante et a sans aucun doute inspiré les auditeurs quant à l’importance du travail de traduction dans un pays plurilingue comme la Suisse.

Joline Bachmann


Livre de sang, langues ondoyantes

Kim de l’Horizon, un·e écrivain·e et dramaturge suisse non-binaire a remporté pour son premier roman Blutbuch paru en 2022 plusieurs prix dont le « Schweizer Buchpreis » et le « Deutscher Buchpreis ». Iel a convaincu son public avec son personnage non-binaire en quête d’un langage permettant de s’exprimer avec sa propre identité fluide. Le roman a suscité de nombreuses critiques, allant même jusqu’à des insultes envers Kim de l’Horizon.

La traduction de l’œuvre de Kim a posé de nombreux défis linguistiques à Silvia Albesano, traductrice du livre en italien, et à Rose Labourie pour la traduction française. Ceci dans la mesure où le langage doit servir chez Kim à défaire la binarité de la langue. Un second aspect difficile concerne le style employé, qui est très « ludique, expérimental et sauvage ». L’un des principaux obstacles était par conséquent que la traduction ne pouvait pas se reposer uniquement sur les normes de l’écriture inclusive. La créativité de Kim de l’Horizon va beaucoup plus loin, iel utilise des jeux de mots, fait des blagues au sein des phrases, et les traductrices sont donc obligées de se montrer innovantes elles aussi. Enfin, le style d’écriture du livre change à chaque chapitre, il n’est pas uniforme, ce qui a mis les traductrices devant un exercice « déstabilisant bien que galvanisant ». Kim avait d’ailleurs envoyé une lettre à ses traductrices en leur donnant sa bénédiction pour traduire son œuvre d’une manière libre et créatrice.

La discussion a également abordé la question du recours à la traduction littéraire automatique. Dans certaines parties du texte original, l’anglais produit par Deepl sert de langue étrangère qu’utilise le personnage principal pour s’adresser à sa grand-mère. Cela produit des résultats volontairement « faux » d’un point de vue littéraire. Pour la traduction en français, Rose Labourie n’a pas pu avoir recours à l’anglais car beaucoup considèrent encore aujourd’hui que la langue française doit être pure, dépourvue d’anglicismes. Elle s’est donc tournée vers la langue des jeunes, qui est parlée au lycée ou sur internet, pour remplacer les parties en anglais. De façon générale, les passages écrits au moyen de Deepl dans l’œuvre originale, ont également été traduits à l’aide de Deepl pour reproduire le même effet d’une mauvaise traduction. Par exemple, Deepl ne comprend pas encore les pronoms non-binaires et utilise à leur place des pronoms masculins et féminins en alternance. 

Pour la traduction en italien, le problème était encore plus accentué car les questions de non-binarité et de « queerness » sont moins répandues en Italie. L’Italie a donc un certain retard dans le domaine de la littérature queer et de l’écriture inclusive, les lecteur·trice·s sont moins habitué·e·s à ce genre d’écriture. Silvia Albesano a trouvé une solution à ce problème. Le « schwa », un son vocalique neutre et central, représenté phonétiquement par [ə], existe dans de nombreuses langues où il est souvent présent sous la forme de syllabes non accentuées. Le « schwa » peut alors remplacer les terminaisons des mots genrés, qui deviennent ainsi neutres.

Selon la traduction choisie, la langue nous définit, les mots étant pour Kim à la fois le poison et la guérison. Les personnes non-binaires sont souvent enfermé·e·s dans une case, car les gens ont l’impression d’être forcés à les nommer avec des termes non-binaires. Kim de l’Horizon s’oppose à un tel enfermement : iel cherche à élargir les perspectives de son public par le biais de la langue.

Jessica Spörri


Traduire contre le fascisme

Olivier Mannoni, qui a entrepris la traduction de Mein Kampf d’Hitler en français, était l’invité de Thomas Hunkeler. Mannoni a commencé par expliquer que la traduction d’un livre comme Mein Kampf ne se fait pas sans risques, dans la mesure où le langage que Hitler y avait créé était censé donner envie de détruire, mais aussi puisque Hitler lui-même n’hésitait pas à massacrer les mots. Aux yeux de Mannoni, Hitler utilisait parfois des mots qui n’avaient pas de sens, l’illisibilité de son livre était donc partiellement voulue. En plus, Hitler procède dans Mein Kampf au moyen de beaucoup de répétitions pour persuader son public. Comme le résumait Mannoni, sa langue était devenue une véritable arme dans le texte. Mannoni a fait face à cette difficulté en gardant la distance professionnelle qu’un traducteur doit garder quand il traduit une « œuvre » qui n’est pas moralement défendable.

Vers la fin de l’entretien, le traducteur a fait un lien avec l’époque contemporaine. Il a affirmé que Mein Kampf ressemblait beaucoup, dans son argumentation, aux discours de certains hommes politiques actuels, comme Donald Trump ou Vladimir Poutine. Ce point est probablement celui qui a le plus choqué. Si on est sain d’esprit, on sait que les paroles de tels démagogues sont souvent dépourvues de fondement. Mais ce que l’on ne sait peut-être pas, c’est que ses déclarations sont étonnamment similaires à celles d’Hitler dans Mein Kampf. C’est aussi la raison pour laquelle la justification de Mannoni au sujet de la question de savoir pourquoi traduire une telle horreur était si appropriée. En effet, il a clairement affirmé que si l’on veut comprendre ce qui se passe aujourd’hui dans le monde, il est nécessaire de traduire des livres comme Mein Kampf.

Xenia Rankl


Den Faschismus übersetzen

Die Welt scheint am Rande des Chaos zu stehen, in einer Zeit, die von wachsender Instabilität geprägt ist: nukleare Bedrohung, Invasionen und Annexionen, Pandemien, wirtschaftliche, soziale und humanitäre Krisen, globale Erwärmung, usw. Diese turbulenten Zeiten haben den Aufstieg rechtsextremer Bewegungen begünstigt und Ideologien wie Nationalismus, Autoritarismus und Militarismus gestärkt. Solche Werte werden oft als beruhigende Antworten auf globale Unsicherheit und Instabilität präsentiert. Sie erinnern jedoch auf beunruhigende Weise an historische Vorläufer, die zum Aufstieg autoritärer Regime geführt haben. Es ist wichtig, sich daran zu erinnern, wie ähnliche Zeiten der Unsicherheit den Aufstieg von Figuren wie Adolf Hitler begünstigten, dessen Regime die Welt in eine der dunkelsten Epochen der modernen Geschichte gestürzt hat. Ende Januar 2024 kam es in Deutschland zu Massendemonstrationen als Reaktion auf solche Echos aus der Vergangenheit. Tausende Deutsche brachten ihre Sorge über die Gefahr einer autoritären Erneuerung zum Ausdruck, die durch den Aufstieg der rechtsextremen AfD symbolisiert wird. Slogans wie « Nie wieder 1933 », « Kein Mensch ist illegal » und « Alle zusammen gegen den Faschismus » zeigen ein kollektives Bewusstsein für die Notwendigkeit, gegen die Wiederholung der Fehler der Vergangenheit zu kämpfen. 

In diesem Zusammenhang ist die Herausforderung einer genauen Übersetzung von Adolf Hitlers Mein Kampf von größter Bedeutung. Die genaue Übersetzung dieses Textes ermöglicht nicht nur ein authentisches Verständnis der ideologischen Grundlagen des Nationalsozialismus, sondern ist auch von entscheidender Bedeutung für Bildung und Erziehung. Eine genaue Übersetzung wird zu einem wichtigen Instrument, um Hassideologien zu dekonstruieren und eine Wiederholung der Geschichte zu verhindern.

Am Gespräch zu Olivier Mannonis Übersetzung von Mein Kampf war die Stimmung eher negativ, da es hier um dramatische Ereignisse und einen berüchtigten Text ging. Doch es gefiel uns sofort, wie Olivier Mannoni das Thema ohne Umschweife anging, ohne dabei seine kritische Distanz zu verlieren. Es ging ihm darum, die Bedeutung seines Projekts zu erklären und dem Publikum seine Entscheidungen klarzumachen. Eine Stunde war allerdings zu kurz, um sich mit allen Aspekten dieser Übersetzung zu befassen. Doch es half uns dabei, den Prozess von dieser Art von Übersetzung zu verstehen, die sich nicht nur auf Worte bezieht, sondern auch auf Ideologien. 

In einem zweiten Moment verglich Mannoni den von ihm übersetzten Text mit Aussagen von Politikern wie Donald Trump, dessen Rhetorik bereits mit jener Hitlers verglichen wurde. Die Fähigkeit dieser Figuren, Angst zu schüren und die Sprache zu manipulieren, um Gesellschaften zu spalten, weist laut ihm beunruhigende Parallelen auf. Bei Hitler waren die Juden das « Problem », bei Trump sind es oft mexikanische Einwanderer. Der wiederholte Rückgriff auf vereinfachende Argumente, die als unumstößliche Wahrheiten präsentiert werden, dient dazu, die eigene Basis zu festigen, indem Ängste und Vorurteile ausgenutzt werden. Diese Beobachtungen zeigen deutlich, wie wichtig es ist, eine ständige Wachsamkeit gegenüber dem Erstarken des Extremismus zu behalten. Die Geschichte lehrt uns, dass Zeiten der Instabilität oft von Kräften ausgenutzt werden, die autoritäre und spalterische Visionen durchsetzen wollen. Die Antwort der Gesellschaften auf diese Herausforderungen besteht nicht darin, sich auf sich selbst zu konzentrieren und Sündenböcke zu benennen, sondern sich den Prinzipien der Demokratie, der Inklusion und der Solidarität zu verpflichten. 

Guillaume Dayer et Victoria Cauvy 

Crédits photographie : © ChloéWilhem

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