Le nouveau roman de Marc Agron nous entraîne dans une aventure éditoriale à rebondissements autour de la reconstruction identitaire d’un écrivain après l’échec de son dernier livre. À quel point la figure de l’autrice ou de l’auteur fait-elle encore partie de la fiction littéraire ?
Qui est l’auteur (ou peut-être l’autrice) de La vie des choses ?
Première piste : Yann Mendelec. Écrivain autrefois adulé, désormais mal aimé, il ne se remet pas de l’échec vertigineux de son dernier roman. Échec destructeur ou révélateur ?
Yann Mendelec évite les questions de son ancien public. Il se trouve en décalage permanent avec le monde et son entourage, qu’il n’envisage plus qu’à travers ses références littéraires, savantes ou saugrenues, souvent grinçantes. Il s’était imaginé la consternation d’un Martien à la vue de ces humains s’épuisant dans un aquarium.
La parade est un art, la dérobade est plus peinarde. Yann Mendelec s’enferme. Dans sa chambre, dans sa tête. Solitude recherchée et crainte. Sanctuaire du rêveur sacré ou asile du déserteur minable. Yann Mendelec reprend sa plume, la fait renaître de ses cendres par un changement de style radical. Il met en scène de curieux personnages-objets, qui seraient autant de masques de l’auteur. Le livre est bon. Mais son éditeur refuse de le voir entaché par les déboires de Yann Mendelec. Il impose ses conditions.
Qui est l’auteur de La vie des choses ?
Deuxième suspect : Norga Abraham. L’auteur brille autant par l’éclat de son nom sur la couverture que par son absence de la scène médiatique. Personne ne sait rien de lui. Son éditeur affirme qu’il vit reclus. Des rumeurs folles courent à son sujet. Il n’est pas sans rappeler un certain Émile Ajar. La seule chose sur laquelle on s’accorde : l’écriture est travaillée pour dissimuler quelque chose. C’est trop parfait.
Qui est l’auteur de La vie des choses ?
Troisième hypothèse : ses lectrices et lecteurs. L’auteur se désiste ? Pas de problème, on le reconstruit. C’est une application littérale de la formule de Roland Barthes : « la naissance du Lecteur doit se payer de la mort de l’Auteur ». – L’auteur ? Voyons, tout laisse entendre qu’il s’agit d’une autrice. – Je vous demande pardon ! L’auteur est un habitant de Kyoto. Derrière la supercherie, ce livre est un patchwork de culture japonaise. – Moi, je sais qui il est sans y croire. Son livre m’est adressé, il épelle un message subliminal que je suis seule à connaitre.
Tour de Babel vacillante qui s’écroulera bien vite lorsque Norga Abraham rentrera finalement des Amériques ? Pas si sûr. Entre cacophonie et pluralisme fécond, il n’y a qu’un pas, l’art est de savoir en tirer parti. À quel point une figure publique est-elle forgée par son public, justement ? Certainement, nous sommes tous des comédiens, dès qu’on est un personnage public.
Qui est l’auteur de La vie des choses ?
Quatrième verdict : Marc Agron. L’écrivain signe avec La vie des choses son quatrième roman qui, vous l’aurez compris, tourne autour d’un livre fictif homonyme. Pas autant de mystères à ce niveau-ci : Marc Agron (prononcez Agronne) est né à Zagreb, puis est arrivé en Suisse à 19 ans pour un job d’été. Il y est resté. Après des études de lettres à Neuchâtel et une formation de libraire, il a ouvert à Lausanne son « Univers », librairie de livres rares et anciens, mais aussi bouquinerie et galerie d’art à l’étage. Il est donc un initié du monde merveilleux de la scène littéraire et de la critique d’art contemporain, qu’il s’applique à démystifier dans une satire hésitant entre vinaigre et fruit de la passion.
Jouant tour à tour la lyre de la mélancolie et le rock’n’roll des rebondissements, La vie des choses danse sur le fil de la dualité, dans une recherche identitaire où tout n’est pas blanc ou noir, où il suffit d’un rien pour basculer vers le pire ou vers le meilleur. Même si l’on perd pied, peut-être un élastique nous fera-il encore rebondir.
Qui sera l’auteur de La vie des choses ? L’enquête est ouverte. Mais peut-être la vraie question est-elle : sera-t-il heureux de la réponse choisie ?
Marc Agron, La vie des choses, Éditions La Veilleuse, 2024, 224 p., 27 CHF.