Les chemins de l’évasion

Le Brochet de l’empereur Barberousse est un ouvrage composé de sept nouvelles mettant en scène des histoires à priori sans lien direct entre elles. Une récurrence se manifeste toutefois dans le choix des protagonistes, puisque Jean-François Haas fait naître des intrigues dans lesquelles les enfants jouent un rôle central, tandis que les adultes y revivent leurs souvenirs d’autrefois. Il s’agit d’histoires pleines de rêves. Les enfants abordent la vie d’un point de vue qui leur est propre et qui sort souvent du réel. Ils imaginent des monstres, des amis qui n’existent pas. On y trouve aussi leurs peurs et leurs cauchemars. L’auteur intègre à son œuvre des éléments faisant écho à sa propre vie, tels que la religion, la paternité ou l’enseignement.

La couverture présente une photographie intrigante. On y trouve un enfant qui pêche, sur une plage, alors que la nuit tombe doucement. Malgré l’obscurité croissante, un soupçon de coucher de soleil persiste à l’horizon, teintant le ciel d’une nuance de rose. En entrant dans la lecture de ces nouvelles vous ne manquerez pas de découvrir qui est ce personnage et quelles aventures et mésaventures il a vécues dans ces paysages. Des thèmes lourds sont abordés dans ces nouvelles, puisque c’est entre violences conjugales, harcèlement scolaire, viol et violence sur mineurs, ou encore discriminations sociétales et handicap que l’on se laisse saisir en se plongeant dans cette lecture. 

Une petite fille joue à l’arche de Noé. Bruno est hanté par une méduse. Un garçon dessine une usine. Toffee surveille le ponton. Théo pêche un brochet. Les Mousquetaires sont champions de basket. Niko veut voir le père Noël. En lisant ces nouvelles, il faut réussir à se glisser dans la peau de sa propre enfance, afin de comprendre les peurs qui les saisissent, les aventures qui les fascinent. 

Il y a dans ces nouvelles parfois un goût de Christmas tale de Jean-François Haas : 

« A-t-il droit au bonheur ? Est-ce que la quête du bonheur lui est interdite ? Herb, quand je vois Niko, je me dis que nous sommes de pauvres crétins. Nous pensons : ce gosse n’est pas normal. Il n’est pas dans les normes que nous avons définies. Donc, si la vie a raté son essai, il faut effacer cette erreur, comme nous effaçons nos ratures. Delete ! » 

La trisomie d’un petit garçon au cœur d’une société qui ne l’accepte pas et l’amour d’un grand-père qui sacrifierait sa vie pour la sienne, provoquent un mélange entre peine et irritation. Niko n’aurait jamais dû vivre. Son grand-père, retraité, était pilote d’hélicoptère militaire. Lors d’un vol de nuit, il disparut des radars. Il fit une rencontre. Il vit une lumière. Il vit des êtres bienveillants. Il revint sur terre, comme si de rien était. Sur terre règne un autre climat. Un monde rigide, dur, indifférent. Lui enlèvera-t-on son petit-fils ? Le supprimera-t-on comme s’il n’était rien de plus qu’une simple erreur ? 

Les transitions temporelles de l’auteur, qui navigue entre présent et futur sans précautions, peuvent vite désorienter le lecteur inattentif, au risque peut-être de le perdre. En lisant ce livre, il est donc primordial de prendre le temps de questionner la réalité dans laquelle on vit. Un monde où la violence fait rage, même au plus jeune âge, une violence qui laisse des traces. Les rêves sont-ils un moyen de s’échapper, de s’évader le temps d’un instant ? La réflexion qui se cache derrière ses histoires ne peut qu’être enrichissante. 


Jean-François Haas, Le Brochet de l’empereur Barberousse et autres nouvelles, Bernard Campiche Editeur, 182 pages, 2024, 29 CHF.

Laisser un commentaire