L’histoire ne retient pas le sort des malheureux qui commencent la lecture d’une série de livres par le deuxième tome. À eux sont destinés les personnages qu’on ne présente plus, les intrigues bâclées et les motifs en apparence absurdes. Je pensais devoir aussi m’y confronter en ouvrant Le cri du lézard de Jean-François Thomas. Je me l’étais procuré, car sa couverture fantasque m’avait séduit. Pourtant, une note de bas de page, faisant référence à un roman précédent de l’auteur, m’a fait redouter de lire la suite d’une histoire dont je n’avais pas les clés.
Une invitation à rester
Dès les premières pages, la rencontre avec l’inspecteur Cyriel, a dissipé mes craintes. Avec aisance, l’auteur efface toute impression de distance avec les protagonistes. Ainsi, une discussion avec Mathilde, la fille du personnage principal, autour d’anciennes photos souvenirs, crée un contact direct avec son passé sans appesantir l’intrigue pour un lecteur qui y serait familier. Cela se remarque notamment dans cet extrait : « Ce passage en revue leur permettait aussi de se remémorer nombre de souvenirs, d’évoquer les moments heureux passés en famille, de retrouver des séquences oubliées des nombreuses années écoulées depuis la naissance de Mathilde. Mais aussi, hélas, d’évoquer les moments difficiles, douloureux, que leur famille avait traversés. Les trop fréquentes absences de Cyriel dues à son métier d’enquêteur, les tensions de plus en plus visibles dans le couple, la disparition des amies proches, la dépression de Cyriel qui avait suivi la mort de son collègue. »
Le portrait gris du héros
Vous l’avez sûrement remarqué dans ce passage, le ton n’est pas à la rigolade. L’intrigue non plus : Cyriel, a arrêté sa profession d’inspecteur de police et repris la vieille librairie d’occasion de son père. En la rangeant, il est lancé par hasard sur une piste qui laisse croire que son père ne serait pas mort d’un simple arrêt cardiaque. Lui qui avait rompu avec les enquêtes doit donc se replonger dans ce milieu pour trouver une réponse à ses questions. Loin d’être un justicier calme et parfait, il fait preuve de nombreuses failles. Sortant depuis peu d’une dépression, il lui prend parfois de violents accès de colère. Ceux-ci m’ont d’abord surpris puis enchanté, le personnage semble brusquement si réel, si vrai. J’ai été frappé par la description d’un réveil agité de Cyriel : « Il se réveilla soudain, en sueur. Il se rendit aux toilettes, but un peu d’eau, se recoucha, mais peina à se rendormir. Il se leva plus tôt que d’habitude, mal reposé et de mauvaise humeur. Il se prépara un petit déjeuner. Au moment de poser son café sur la table, il heurta du coude le coin d’une chaise et lâcha sa tasse. Le café se répandit sur sa jambe nue, le brûla. “ Merde, ça fait mal, putain!… “ Furieux, il shoota ce qui restait de la tasse, et envoya valser les morceaux de porcelaine contre un des murs de la cuisine, ce qui l’éclaboussa de café noir. “ Et va falloir nettoyer tout ça ! Pfff… ça sert à rien de t’énerver, mon gars, le mal est fait…calmos… “ Cyriel prit trois fortes inspirations, permettant à sa colère de refluer, et de retrouver un semblant de sérénité. Il se rendit aux toilettes et se versa de l’eau froide sur la brûlure, afin d’atténuer sa morsure. »
La force de la simplicité
L’histoire se veut réaliste, cela se remarque par la vraisemblance des émotions des protagonistes mais aussi par la banalité de leur langage. De même, nombre de fausses pistes glissées ça et là se jouent des clichés typiques des romans policiers. Aucune place n’est laissée aux explications rocambolesques. La manière dont Jean-François Thomas aborde une aventure amoureuse au sein de cette enquête ne manque pas à la règle, tout semble concret, tragique, banal.
L’intrigue à retournements du Cri du lézard témoigne de l’expérience littéraire de son auteur et je ne saurais que vous le recommander. Pour ma part, je vais de ce pas découvrir les autres aventures de Cyriel dans Une semaine à tuer.
Jean-François Thomas, Le cri du lézard, Sainte-croix, Bernard Campiche éditeur, 2024, 271 pages, 31 CHF.