Un hameau trompe-l’œil

Le hameau de personne, c’est un roman qu’on ne voit pas venir. Lorsqu’on découvre, au fil des premières pages, les personnages principaux, une impression se dessine : il va se passer quelque chose avec Fracasse, c’est certain. Ce nom détone, il semble annonciateur d’une catastrophe à venir. Et cette intuition semble se confirmer, car Fracasse se révèle un adepte du voyeurisme. 

S’agirait-il d’un roman policier ? Et bien non. Le récit déjoue les attentes et se révèle être un roman de la marginalité, centré sur l’observation, le silence et les non-dits. Dans son roman, Jérôme Meizoz dresse le portrait d’une série de personnes en marge de la société. Fracasse, c’est sa timidité et son travail dans l’écriture qui le marginalisent. Javerne, le dealer « aux mots sales », préfère observer la voûte céleste plutôt que de se fondre dans la population ou trouver une femme. Il y a aussi Rosalba, devenue Emaney, qui s’illustre en star des réseaux sociaux, isolée dans son chalet avec ses deux chiens. Puis Boksay, le photographe bulgare, et Maïko qui ne parle pas, et qui fait presque partie du décor. Alors que la petitesse du hameau devrait promouvoir leur rapprochement, c’est le contraire qui se produit : les échanges restent superficiels, servent à dissimuler des vérités, à camoufler des obsessions. De manière intéressante, ce sont les témoignages des différents personnages qui nous confèrent un accès à leur moi intérieur. 

Au fil des pages, les personnages se révèlent par le biais de regards croisés. Chacun-e se raconte, mais surtout, est raconté-e par un-e autre, dans un dispositif narratif qui en dit souvent plus que ce que les personnages perçoivent d’eux-mêmes. Le franc-parler de Javerne, par exemple, parait dissimuler une timidité à l’égard des femmes. Il y a aussi la lettre de Fracasse à Emaney, qui renverse brutalement la perspective. Et si nous avions jugé trop vite ? 

Finalement, arrive la chute – ou plutôt les chutes, car le roman offre le luxe du choix de la fin. Le drame éclate sans prévenir, au détour d’une page.  Mais nous avions été avertis de la tragédie : l’histoire du poète de la falaise, un promeneur qui avait dévissé dans les années 1940 était finalement bel et bien prémonitoire. 

Le roman de Meizoz, c’est aussi une remise en question des nouvelles technologies, de la solitude masquée derrière les followers, jusqu’à l’utilisation de l’IA par Emaney dans ses créations. L’auteur lui-même s’insère d’ailleurs dans la narration par un processus de mise en abyme, pour expliquer la création de la fin de l’histoire. Cette incursion inattendue casse les codes habituels de la narration et propose une entrevue avec un nouveau personnage : le robot conversationnel. 

Le hameau de personne est un livre à la construction subtile et originale, même les différentes fins proposées peuvent créer une forme de frustration pour les lecteurs et lectrices en quête de résolution. Le titre résume à lui seul toute l’ambiguïté du roman : il suggère que l’on peut être à la fois visible et invisible, une figure sur les réseaux sociaux et personne dans la vie réelle. En adoptant les mots de Fracasse, Emaney résume la solitude qui unit les habitants du hameau : personne ne connaît ma personne.                                                                                                        


Jérôme Meizoz, Le hameau de personne, Éditions Zoé, 2025, 160 pages, 24 CHF.

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