À peine arrive-t-on à Sion, sur le lieu de la manifestation, que les rayons de soleil, reflétés par les structures miroitantes du bâtiment, se déposent sur votre visage et vous rougissent les joues. Il fait beau et chaud, on regrette déjà le temps des vacances. Mais pas de panique, la troisième édition du Festival du livre suisse est placée sous le signe du voyage. Certains sirotent un verre sur la terrasse, d’autres plantent leur fourchette dans leur dernière morce, les uns feuillettent les ouvrages exposés, les autres écoutent attentivement les conférences en cours. On se croirait ailleurs. Où ça ? Allez savoir ! Ailleurs. En tout cas pas à la Médiathèque de Sion qui, pour l’’occasion, s’est transformée en véritable carrefour littéraire, où chaque direction mène non pas à Rome, mais aux tables rondes et à la passion pour les mots. Ici, chacun déambule à son aise entre les différents stands, à la recherche d’une contrée suffisamment intéressante pour y faire halte. Les destinations sont multiples mais la visite peut sans autre se faire sans lonely planet : l’instinct reste le meilleur guide.
Dans le Hall, Gilles Lapouge (Atlas des paradis perdus, Arthaud) et Alexis Jenni (La Conquête des îles de la Terre Ferme, Gallimard) débattent sur la question de l’écrivain voyageur – ou du voyageur écrivain : tous deux reconnaissent le talent de Nicolas Bouvier, mais Alexis Jenni rappelle que la dextérité d’un auteur repose avant tout sur sa capacité de « faire croire » au voyage : « Ce n’est pas parce qu’on a voyagé qu’on va emporter le lecteur par notre récit, c’est le récit qui l’emporte. C’est toujours la littérature qui l’emporte. » Sur la gauche, un petit couloir mène à un bureau solitaire, orné de photos, qu’une lumière tamisée plonge dans une ambiance intimiste : encore un hymne au déplacement. Cette fois, ce n’est pas au visiteur de voyager, mais aux mots. Feuilles et stylos sont à disposition, une lettre d’amour de Frida Kahlo est suspendue et ne demande qu’à recevoir une réponse. On prend le temps que l’on veut, pour écrire ce que l’on veut, avant de déposer sa carte postale dans l’urne et de poursuivre son chemin. Ceux qui n’ont pas le mal de mer se font happer par la voix de Max Lobe qui s’essaye à la modération. Il réunit Pierre Crevoisier (Marins à l’encre, Slatkine) et Jack Küpfer (Lady des abysses, L’Âge d’Homme) autour du récit de leurs expériences en mer, embarquant l’auditoire tantôt en Alaska, tantôt dans les grands fonds marins. Et comme toute expédition connaît ses traverses, ses craintes et angoisses, certains se risquent à l’univers plus sombre du polar, où Olivia Gerig (Le Mage noir, L’Âge d’Homme) et Jan Kepons (Le modèle, 180° éditions) se mettent d’accord sur l’importance du ficelage de l’intrigue. Habitué à vulgariser la complexité du secteur financier, le banquier genevois s’est lancé dans le roman noir – comme quoi chiffres et lettres ne s’excluent pas mutuellement – et insiste sur la discipline de son écriture : « Le mécanisme littéraire du polar est semblable à l’horlogerie. Même la pièce la plus fine, le moindre petit indice, joue un rôle considérable. Pour que l’histoire tienne, le rouage doit être parfait ». Deux ans d’études de criminologie par correspondance : voilà à quoi s’est attelée Olivia Gerig, motivée par l’envie de comprendre les facteurs qui conduisent un individu à commettre des atrocités. « Je suis quelqu’un d’assez noir », affirme-t-elle, en noir, interrogée par un jeune homme également vêtu de noir. Quant à Jan Kepons, il expose toute l’importance qu’il accorde à la notion de « plausibilité » : « Ce que je cherche par-dessus tout, c’est à stimuler le lecteur et amener LA question : « Est-ce que c’est vrai ? », « Est-ce que c’est possible ? » » Cette interrogation clôt l’échange, laisse les globe-trotteurs pensifs et les ramène à leur errance.
Des piles de livres ornent les tables, les couvertures déploient leurs couleurs et donnent à voir un nombre incalculable d’horizons littéraires. C’est d’ailleurs tous ces auteurs de chez nous qui, rivalisant assurément avec le Cervin, devraient apparaître sur les calendriers afin que les touristes soient davantage informés de la richesse de la littérature suisse. Une touriste française, Katia Astafieff, a justement fait le détour, dimanche matin, pour nous présenter sa dernière publication – Comment voyager seule quand on est petite, blonde et aventureuse (Pocket) – aux côtés de Sarah Gysler (Petite, Éditions des Équateurs). Les deux auteures sont particulièrement drôles, souriantes et déconstruisent les clichés du genre. Non, leurs livres ne racontent pas les 12 travaux d’Hercule, ni les aventures de Lara Croft, être une femme voyageuse n’a rien d’un exploit. Ces livres sont le moyen le plus efficace de transmettre un seul message : que vous soyez homme ou femme, la devise est la même, « Allez-y, c’est possible ! Mettez en pratique ce que vous avez cent fois ressassé en paroles. Sortir de son confort pour découvrir le monde est à la portée de chacun. » Le public est conquis, mais la valise se fera plus tard. Il reste encore un arrêt avant de reprendre la route : direction le Pli, un autre espace de discussion.
On y parle de changement, d’évolution constante de la matière, on aborde le « déformatage littéraire ». Pierre Yves Lador (Poussière demain) et Quentin Mouron (Vesoul, le 7 janvier 2015), tous deux publiés chez l’éditeur Olivier Morattel, défendent la nécessité de l’humour et la recherche d’un style particulier, novateur, qui évite la facilité. Le jeune lausannois s’avère très critique, sans être arrogant, affirmant son côté pince-sans-rire, sans oublier de se compter parmi les cibles de ses moqueries : « L’autodérision n’est pas la première vertu du milieu littéraire, il faut le dire. Je m’amuse, par exemple, du « poète champêtre ». Alors oui, c’est normal qu’une voix s’affirme et qu’une forme puisse être répétée, mais il y a quelque chose de caricatural dans la spécialisation des poètes. Et on est très vite étiqueté dans les librairies ». Quant à l’ancien directeur de la Bibliothèque municipale de Lausanne, il n’hésite pas, à l’instar de son camarade, à faire preuve de sincérité : « Souvent, on oublie que malgré une grande liberté de ton, on travaille avec des éditeurs et on a beau faire ce que l’on veut, faire ce que l’on veut c’est surtout faire ce que l’on peut ». Sur ces mots, le périple s’achève, laissant derrière lui d’autres anecdotes non relatées, mais les mots existent ailleurs que sur papier, ils existent aussi dans la tête, sous forme de souvenirs. Nul besoin de réserver votre ticket pour l’an prochain, l’expédition au Festival du livre suisse est gratuite !