Ne te plains pas, tu as une famille. C’est à toi de la rendre heureuse. Te rends-tu compte d’où tu vis ? De comment tu vis ? Tu devrais te sentir comblée. C’est à toi de faire un effort. C’est sur toi que repose le bien-être de la famille. Une perfect house wife, voilà ce que doivent être les femmes des années 1960, et aucune réclamation n’est admise, s’il vous plaît !
Dans Antonia, publié en 2019, Gabriella Zalapì nous expose, à travers un journal intime tenu entre 1965 et 1966, le quotidien d’une jeune femme tourmentée. Antonia est une femme reniée par sa propre famille ; elle est un fantôme que Gabriella Zalapì a décidé d’exhumer. D’après l’arbre généalogique que présente l’auteure à la fin de son livre, Antonia aurait existé, elle serait même en vie, mais cette référence généalogique est-elle réelle ? Existe-t-il un lien familial entre Antonia et l’auteure ? Ce sont des questions qui resteront sans réponses. A partir de son vécu, de photographies et d’archives familiales redécouvertes, Zalapì entremêle fiction et réalité pour donner vie à Antonia, cette jeune mère tourmentée. Les récits biographiques qui emplissent ce journal intime se nourrissent de la réalité et en font pourtant un ouvrage fictif qui évoque des instants de vie posés sur le papier.
Le jeu entre fiction et réalité se prolonge dans la ressemblance qui existe entre l’auteure elle-même et Antonia. Comme celle-ci, Gabriella Zalapì possède des origines suisses, italiennes et anglaises. Les très nombreux voyages qu’effectue cette artiste plasticienne, les déménagements de ville en ville et le caractère composite de sa famille la poussent à méditer sur la construction de l’identité ; un questionnement sur soi qui se trouve aussi au cœur du journal intime fictif d’Antonia.
Un vide à combler
Échange ce matin avec Franco au petit-déjeuner : « Ouvre la fenêtre. Elle est ouverte. Il n’y a pas d’air ». Ces quelques mots suffisent à faire ressentir le vide de la vie d’Antonia. Il n’y a pas d’air dans le quotidien pourtant confortable de cette femme tiraillée entre contraintes et envies, et l’écriture sobre, en courtes phrases, devient une échappatoire à son mal-être. Franco, l’époux d’Antonia, est un homme aux manières irréprochables et au tempérament assommant. Le jeune couple mène une vie « paisible », cernée par la nurse qui s’est approprié, de bon droit selon Franco, leur enfant unique qu’Antonia ne parvient pas à aimer. Outre l’atmosphère malsaine de son foyer, Antonia ne trouve pas sa place entre sa riche famille paternelle anglaise installée en Italie et sa mère juive. L’absence de figure parentale stable – un père décédé et une mère beaucoup trop exigeante – incite Antonia à se rapprocher de Nonna, cette grand-mère paternelle qui l’aime sans condition. Nonna est une figure forte qui a réussi à s’imposer dans le cercle familial, à la différence de sa petite-fille ; elle est le pilier féminin sur lequel Antonia tente de s’appuyer pour mettre de l’ordre dans les morceaux épars de son histoire. Ce sont ces souvenirs du passé, légués par Nonna à sa petite-fille, qui vont la pousser à se libérer, au risque de devenir la honte de la famille.
Gabriella Zalapì, Antonia, Éditions Zoé, 2019, 100 pages.
Dafina Meha