Tout commence par des larmes d’enfant. Alors qu’elle sort à peine d’un deuxième congé maternité, Antoinette Rychner console son fils aîné qui se plaint de douleurs physiques. Il vient tout juste d’entrer à l’école, c’est sa première année. Les douleurs s’intensifient. On prépare un petit sac et un départ aux urgences est décidé. Plusieurs heures d’attente. Silence. Tests à répétitions. Silence. Jusqu’à ce qu’enfin le verdict tombe, et que le mot « tumeur » soit prononcé. Vacille alors le quotidien de cette petite famille, propulsée dans un monde médical stérile et irréel.
Cette histoire vraie nous est restituée en détails par une Antoinette Rychner désemparée qui raconte les allers-retours incessants entre son logement de fortune et l’hôpital, entre son fils malade et son bébé qu’elle allaite encore. Si la chronologie évoque la forme du journal intime, il s’agit en réalité d’une confession où la jeune femme s’adresse directement à son enfant. Mais le « tu » n’est pas son fils aîné, petit garçon apeuré pourtant au cœur de cette histoire. C’est à son nourrisson qu’Antoinette Rychner se confie, retraçant ainsi pour lui cette première année de vie scandée par les chimiothérapies de son grand frère.
Si ce choix formel peut a priori sembler acrobatique ou artificiel, il n’en est rien. Bien au contraire, les événements se déploient, authentiques sous la plume de l’autrice qui rythme parfaitement son écriture. Entre la précipitation effrénée suivant l’accablante nouvelle et les longues journées d’attente, les 150 pages nous font parcourir les six mois tumultueux traversés par cette famille. En choisissant son benjamin comme destinataire, l’autrice place en réalité son ouvrage dans le registre de l’intime. Bien que l’austérité de l’hôpital constitue le cadre principal de cette histoire, le ton est celui des murmures sur l’oreiller. Sans jamais basculer dans le larmoyant, l’écriture transparente d’Antoinette Rychner révèle au contraire une grande justesse dans le choix de ses mots et dans la description de ses émotions :
« Quant à moi, si les forces m’ont tout d’abord manqué pour te parler, t’amuser, te faire rire ou verbaliser ce qui était en train de se passer, mon corps a continué de t’aimer puisque mon lait, miraculeusement, n’a pas tari quelle que soit ma fatigue. Il en allait de notre lien. »
Partageant avec nous l’impuissance, la peur et les pleurs, l’autrice fait avant tout part de sa reconnaissance. Malgré sa thématique grave, cet ouvrage constitue une ode à la gratitude et à l’espoir. Gratitude pour toute la solidarité et la générosité qui les entourent ; espoir de la guérison et du retour à la vraie vie. Quoique, comme nous rappelle l’autrice : « il suffit d’être ensemble pour qu’existe un foyer – même provisoire, ou en mode camping ; un foyer pour de vrai. »
Écrivaine prolifique, Antoinette Rychner conçoit habituellement ses textes au cœur des arts vivants. Au sein de ces publications portées sur les scènes romandes, Peu importe où nous sommes a tout du livre inattendu. Première introspection autobiographique de l’autrice, ce récit viscéral est pourtant loin de faire coquille vide. Bien au contraire, cette parenthèse de vie est une véritable perle littéraire, qui après nous avoir fait entrevoir le pire, dévoile l’entraide et l’espoir d’une vie meilleure.
Antoinette Rychner, Peu importe où nous sommes, éditions d’autres part, Genève, 2019, 160 pages, 25 CHF.