Freudiger et son invitation à tourner la page

Le papa sortit de la maison, son bébé dans les bras, en criant : « C’est une fille! Luz del Sol est une fille ! » On dut alors lui expliquer poliment que sa fille ne s’appelait pas Luz del Sol, mais Luz Nieve, le village en avait décidé ainsi. Et la volonté du plus grand nombre fut respectée.

Dans un petit village d’Amérique centrale, un miracle solaire se produit à l’annonce de la venue au monde d’un bébé. En souvenir de cette extraordinaire manifestation, il est décidé que l’enfant portera le nom de Luz del Sol. Les mois passent et l’heureux événement se produit : une petite fille voit le jour alors que le village se couvre d’un grand manteau blanc. Pour cette raison, l’enfant ne s’appellera finalement pas Luz del Sol mais Luz Nieve. Et cette enfant grandit rapidement, trop rapidement, le temps semblant s’emballer en sa présence. Lorsque ses parents meurent dans une mystérieuse explosion, il n’en faut pas plus pour que les habitants du village, superstitieux, en accusent la jeune Luz Nieve et la condamnent à l’exil. La jeune fille n’emportera avec elle qu’un vieux livre que ses parents avaient ouvert à la page 88 pour caler leur lit. Ses pas l’emmènent vers la Croix-Rouge qui lui trouve une famille d’adoption en Suisse. Une nouvelle vie attend Luz Nieve.

Au cœur de ce récit s’insère l’histoire d’un livre, le livre fétiche d’une fillette : Luz Nieve ne l’a jamais ouvert qu’à la seule page 88 qu’elle a pourtant lue et relue, sans toutefois chercher à savoir ce qui la précède et ce qui la suit. Cette page rattache le passé et le présent. Si l’auteur affirme dans une interview pour la Radio Télévision Suisse qu’il s’agit là d’une simple coïncidence, le récit de la vie de Luz Nieve se termine pourtant subitement à la page 88 du livre qui se trouve entre les mains du lecteur et s’ouvre sur une autre histoire, celle de Sven et Sarah. Lui vient du Danemark, elle de Suisse et leur rencontre a lieu en Amérique centrale alors que Sarah est à la recherche de Luz Nieve : « Et si, aujourd’hui, elle se trouvait ici, dans ce bus, si loin de son pays, c’était tout simplement pour avoir lu un petit récit qui retraçait l’histoire de Luz Nieve, une jeune fille caraïbe adoptée en Europe. »

Sur l’auteur

Né en 1979, Reynald Freudiger est un auteur vaudois et enseignant de littérature dans un gymnase. Il collabore avec le Centre lausannois de recherches sur les lettres romandes à l’édition critique des œuvres complètes de Charles-Ferdinand Ramuz. Après un premier roman intitulé La Mort du Prince bleu (2009), il gagne le Prix du Roman des Romands en 2012 avec son recueil de nouvelles Ángeles (2011). Freudiger est en outre critique littéraire pour la Revue de Belles-Lettres et il a rédigé des chroniques pour le quotidien La Liberté.

Avec La Véritable Histoire de Luz Nieve, Reynald Freudiger signe son quatrième roman. L’auteur dévoile à son lectorat une histoire aux allures de conte. Avant même que la petite Luz Nieve ne pousse son premier cri, elle est déjà destinée à une vie hors du commun. Le lecteur se laisse entraîner dans les péripéties que vit l’enfant dans sa quête identitaire et il se trouve plongé dans un monde où rêves et réalité s’entremêlent : « Des moustiques l’avaient choisie pour reine du bal, et, à tour de rôle, les prétendants venaient danser devant elle. Incapable de se résoudre à n’en choisir qu’un, elle acceptait tous les baisers sans distinction, étrangère qu’elle était aux lois humaines de l’amour exclusif. »

Sous la plume de Freudiger, les mots deviennent le reflet du temps qui passe. Pour le lecteur, les phrases simples, parfois laconiques, s’enchaînent à un rythme pressé mais cadencé, alors que les années passent à vive allure pour la petite Luz qui devient rapidement adolescente puis adulte. Si le tempo expéditif éloigne parfois le lecteur des personnages, le récit comporte toutefois d’utiles ralentissements qui permettent au lecteur de cerner les enjeux de ce livre : la solitude, la quête de soi, la découverte d’une identité.

La Véritable Histoire de Luz Nieve se compose de deux récits qui se font écho dans un chassé-croisé envoûtant d’illusions et de vérités, d’abandons et de retrouvailles, d’impasses et de pages tournées. Et c’est là tout l’effet saisissant de ce petit livre à la couverture noire et blanche : que se cache-t-il derrière la fameuse page 88 que Luz Nieve se refuse à dépasser ? Freudiger donne un indice : « Elle ne tourne pas la page, par contre, le lecteur est invité à le faire à sa place. »

 

Reynald FREUDIGER, La Véritable Histoire de Luz Nieve, Vevey : Editions de l’Aire, 2017, 139 p., CHF 25.

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