« Boza chez nous n’a rien à voir avec la boisson, la boza turque. D’après notre dictionnaire français du Cameroun, c’est un mot nouveau qui dérive de certains dialectes ouest-africains. Il signifierait « victoire ». Lorsqu’après des mois, voire des années, de risques pris sur des chemins tortueux, on foule enfin le sol européen, on crie : Boza ! Victoire ! »
Jean et son ami-frère Simon partent à la recherche de Roger, le frère de Jean. Rêvant de devenir une star du football, il est parti faire boza – s’élançant à pied de Douala, ville à l’ouest du Cameroun, pour rejoindre l’Europe en passant par le Nigéria. Le récit est narré par Jean, enfant modèle, le Choupi de sa mère, homosexuel et promis, selon sa mère, à une brillante carrière intellectuelle.
L’histoire s’ouvre sur une réception donnée pour fêter le tant attendu brevet de Roger et le baccalauréat de Jean. La mort brutale de leur père Claude, dont Roger se sent très proche, survient peu après et provoque le départ de Roger qui n’assistera pas à l’enterrement de son propre père ; il est déjà parti. Quelques jours après les obsèques, commence la longue recherche de Jean et Simon. Bien que le terrorisme sévisse dans la région, les deux jeunes n’y sont pas directement confrontés. Ils n’en ont que la crainte nourrie le plus souvent par la mère et la tante de Jean lors de leurs contacts téléphoniques. La narration est fréquemment ponctuée par des réflexions de Jean : l’éloignement de sa mère, la découverte de son homosexualité, ses peurs, ses doutes et ses ressentis.
Sur l’auteur
Max Lobe, né en 1986 à Douala, habite en Suisse depuis 2004. Il est l’auteur de L’Enfant du miracle (Editions des Sauvages, 2011), 39 rue de Berne (Zoé, 2013) qui a remporté le Prix du Roman des Romands en 2014, La Trinité Bantoue (Zoé, 2014) et Confidences (Zoé, 2016) qui a gagné le prix Ahmadou-Kourouma en 2017.
Pour écrire ce roman, Max Lobe a lui-même réalisé un voyage du sud au nord du Cameroun. C’est une des raisons pour lesquelles le lecteur a l’impression d’être plongé dans l’univers décrit et de vivre les évènements qui s’y passent.
A travers cette intrigue familiale, Max Lobe dépeint le Cameroun, du sud jusqu’à la frontière avec le Nigéria. Il évoque Boko Haram, présent dans cette région, les différentes religions existant en Afrique, le niveau de vie au Cameroun, la culture du pays et l’homosexualité. Ces thèmes enrichissent la lecture par leur actualité et leur diversité. Grâce à un style vivant et très imagé, l’auteur parvient à plonger le lecteur dans le voyage de Jean et Simon. L’utilisation du français du Cameroun, très oral, facilite l’immersion dans le texte, lui-même rythmé par un vocabulaire parfois très cru :
« Maman s’était sentie trahie. A bout de force, elle avait dit : “Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font ”Puis elle avait ajouté : “Qu’ils aillent tous en enfer, ces fils de putes ! ” »
Cependant, c’est principalement le rire que suscitent certaines descriptions : « Devant nous, une dame aux fesses aussi lourdes que ses énormes valises […] chuchote, comme si le poids de ses fesses avait soudain écrasé sa voix », ce qui empêche l’ouvrage de tomber dans le portrait caricatural d’un Cameroun désenchanté. De nombreux clichés, notamment raciaux, sont dénoncés avec humour et donnent envie de sourire malgré tout le sérieux du sujet.
Grâce à cet humour omniprésent, le lecteur supporte la triste réalité qui est décrite, sans se sentir malheureux. De ce fait, il sort satisfait de s’être plongé dans le monde présenté par Max Lobe. A la fin de la lecture, plutôt que la recherche de Roger, ce sont tous les moments vécus lors de ce voyage qui comptent le plus.
Max Lobe, Loin de Douala, Editions Zoé, 2018, 176 pages, 24 CHF.