Un western moderne à la sauce chaux-de-fonnière

« On m’a appris à ne pas poser trop de questions. Balaie devant ta porte et les vaches seront bien gardées, disait ma mère, ce qui ne faisait pas beaucoup de sens, surtout pour une agricultrice. »

Ne pas (se) poser trop de questions est bel et bien le mot d’ordre qui anime et fait le charme de la narratrice de Hors-la-loi. Dans ce court texte, Julie Guinand, dresse le portrait d’une héroïne à la naïveté désarmante qui mène sa barque du mieux qu’elle le peut, au gré des personnes qui croisent sa route. Le récit commence par sa rencontre avec Jesse, un ami d’enfance qui a racheté la ferme de ses parents. Revenu des États-Unis où il a mystérieusement fait fortune, ce dernier lui propose de rester vivre avec lui. Travaillant sans trop d’engouement dans un salon de coiffure à la Chaux-de-Fonds, la jeune femme accepte. En intégrant l’univers de son compagnon, elle découvre une galerie de personnages haut en couleur : à commencer par les épouses des trois associés de Jesse que la chirurgie esthétique a uniformisé au point que la narratrice les rebaptise « les Triplettes de Belleville ». Mais alors qu’elle s’adapte au caractère parfois passablement excentrique de son nouveau quotidien, elle découvre que son amant et ses acolytes ne sont pas ce qu’ils prétendent être. En réalité bandits de grand chemin, ils se retrouvent en fâcheuse posture suite à un braquage qui tourne mal. Commence alors une fuite chaotique à laquelle la narratrice n’a d’autre choix que de participer.

Avec Hors-la-loi, Julie Guinand signe un western résolument moderne où elle mêle l’humour à un sens maîtrisé du suspens. Si on est loin des plaines arides des films de John Wayne, il est intéressant de constater que la campagne neuchâteloise fait parfaitement illusion. Et le nom du compagnon de la narratrice, clin d’œil au célèbre Jesse James, n’est pas le seul élément à provoquer cette impression. « Encadré par une agence de recrutement à sa gauche et par la banque R. à sa droite, l’hôtel fait face à la Grande Fontaine », commente l’héroïne lors de son séjour à la Chaux-de-Fonds. De son écriture qui chatouille parfois son patois natal, l’écrivaine révèle la ressemblance déconcertante que cette ville peut avoir avec les bourgades du Far West. Le centre-ville formé par l’avenue Léopold-Robert n’est effectivement pas sans évoquer leur structure.

Plus percutant qu’il ne peut le paraître au premier regard, le petit texte de Julie Guinand revisite les codes du western pour nous livrer une certaine critique sociale. Ce genre littéraire et cinématographique n’est pas seulement le fait de cow-boys se battant en duel dans l’Ouest américain. Il traite aussi de personnages aux prises avec une envie de revanche sur leur destinée. Au fil du récit, on comprend que la narratrice et les autres hors-la-loi ont tous subi des revers de fortune. Ils font partie de ceux à qui le système n’a jamais réellement donné leur chance. « Et puis, je ne vais pas plaindre les banques. C’est de leur faute si ma famille s’est retrouvée sur la paille », conclut l’héroïne, alors qu’elle découvre la vraie nature du travail de son amant.

Au regard des humiliations endurées dans la cour de récréation puis dans sa vie d’adulte, la narratrice incarne peut-être plus encore que les autres personnages de Hors-la-loi les travers que la société peut causer. Ses piètres tentatives pour être acceptée par les personnes qui la méprisent traduisent un ardent désir d’appartenir à un groupe, d’être socialement intégrée. Suite à l’accueil hostile que les Triplettes lui réservent à son arrivée, elle espère pourtant : « Si ça se trouve, c’est une blague, un bizutage pour m’accepter dans leur bande. Ça serait chic. » Bien qu’ayant une fonction humoristique, la crédulité affichée par la jeune femme peut également être interprétée comme un outil servant à dénoncer des violences qui passent généralement inaperçues.

Au fil des pages, on n’attend donc plus que le moment où l’héroïne de Hors-la-loi prendra conscience de sa propre force et brandira sa candeur comme un étendard. « Je n’ai jamais rien conduit d’autre que le tracteur de mes parents, mais j’apprendrai. Je ne suis pas plus bête qu’une autre », finit-elle d’ailleurs par déclarer. En créant une héroïne qu’on ne veut plus quitter, l’auteure chaux-de-fonnière réussit avec brio à exploiter le format à mi-chemin entre la nouvelle et le roman qui caractérise les œuvres parues chez Paulette éditrice. On ne peut que féliciter la maison d’édition lausannoise d’avoir accueilli une telle plume dans son catalogue, elle dont la mission principale est de « publier des textes avec une personnalité forte […]. »

 

Julie Guinand, Hors-la-loi, Paulette éditrice, 2018, 88 pages.

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