Lynx : Une enfance tourmentée

À propos de l’auteure

Claire Genoux, née en 1971 à Lausanne, est l’auteure de recueils de poésie tels que Soleil ovale (Editions empreintes, 1997) et Saisons du corps (Editions empreintes, 1999), qui lui a permis de remporter le Prix de poésie C. F. Ramuz. Elle se livre aussi à l’écriture romanesque avec La Barrière des peaux (Bernard Campiche, 2014) et décroche le Prix des Alpes et du Jura avec Orpheline (Bernard Campiche, 2017). Sa dernière publication, Lynx, est un roman dans lequel récit et poésie se mêlent.

 

« Le corps de Père avait disparu tout entier dans des trous de vieilles ronces, seul le visage éclairait. […] Le visage était comme détaché du corps, la bouche donnait des mots dans le désordre. »

 

Accident, meurtre, suicide ?

L’histoire, c’est celle de Lynx dont le père a été retrouvé écrasé par un tronc dans la forêt. Il rencontre Lilia, jeune maman séparée qui est employée à la buvette où il travaille. Lynx se rapprochera insensiblement d’elle et de son enfant. Un mystère plane sur les personnages ; leur passé semble peser sur eux. C’est l’histoire d’une famille avec un lourd passé, qui a longtemps été tu, mais qui s’apprête à se dévoiler.

 

« Quand il lui vient des idées à Lilia, elle ouvre son carnet sur les tables nettoyées de la buvette, va dedans avec les mots. […] Elle met de la vitesse et des lignes giclent, noires, mouillées. Elle dit qu’elle écrit sur le fleuve qui était blanc ce matin, contenu dans des poussières chaudes. Que le fleuve et elle se ressemblent. »

 

Claire Genoux évoque une écriture qui allège l’esprit et permet aux sentiments de s’extérioriser. Lilia allège ses maux, panse ses blessures par l’écriture, par les mots qui sont vitaux pour elle. De son côté, Lynx se plonge dans la forêt qui vit et qui, comme les êtres humains, contient des secrets enfouis au plus profond de son cœur. C’est avec elle qu’il a grandi, qu’il a comblé des moments de solitude durant son enfance. L’auteure fait se rencontrer deux êtres aux fonctionnements opposés : l’un « va à la forêt » l’autre « va aux mots ». Lilia met par écrit ce que Lynx tait, ce qu’il refuse de dire.

Grâce à la précision des mots choisis et aux variations syntaxiques, Claire Genoux parvient à exprimer la profonde souffrance de Lynx, le mystère de la mort de Père et l’inquiétude de Lilia. « L’enfance pour Lynx restera cette page blanche. Défoncée. »

Le récit recourt à une écriture sensible et adopte une mise en page qui se rapproche de la strophe, rappelant par moments un poème. Chaque mot a son importance, chaque mot a sa place. La syntaxe parfois inhabituelle permet de donner un poids plus important à certaines tournures qui se rapprochent de l’oralité et rendent le texte plus rythmé : « Des cinglés, il dirait Marzio. » ou encore « Il ne pourrait pas Lynx quitter la grange, la jungle des cactus et des orchidées pour s’installer ici. »

 

« Pour garder aux épaules les bras de Père et ceux de Marzio, il faudrait arrêter de diffuser de l’écriture par les stylos-plumes, devenir une autre. […] Nous le savons. Nous continuons d’aller dans les chambres […] Nous saisissons nos stylos-plumes. […] Nous le faisons tout le temps. »

 

Le narrateur, quant à lui, est mystérieux. Il se fait parfois discret, se fait oublier pour subitement réapparaître et s’imposer. Conscient de son pouvoir, il protège les mystères de l’histoire tout en parsemant le texte d’indices. Dans Lynx, tout est réussi. Un récit attrayant,  une vérité à découvrir, des personnages intrigants qui se révèlent progressivement. Une écriture qui pèse chaque mot. Lynx est un livre qui touche, entre enfance, poésie et forêt.

 

Claire Genoux, Lynx, Éditions Corti, 2018, 206 pages, 28 CHF.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.