Déchirer le voile

Après Le Jour des cons, Sale Pute !!! et Des Truies pour Piggy Boy, courts textes inspirés par le cinéma d’exploitation des années septante et huitante et édités aux autoproclamées nanoéditions La Puce, Philippe Battaglia change de nom (précédemment Tadzul Lempke), d’édition (L’Âge d’Homme) et d’ampleur. Il faut le dire d’emblée : si vous êtes amateurs de belles lettres et férus de classiques polis, Personne n’aime Simon n’est pas pour vous. La trame en est pour le moins étonnante, l’architecture scénaristique suit les exigences d’un cinéaste surprenant, la violence et la grossièreté sont omniprésentes.

 

Tous les flocons de neige sont uniques. C’est leur norme. En étant uniques, ils sont tous pareils. Pour qu’un flocon de neige soit vraiment unique, il faudrait qu’il ressemble exactement à un autre putain de flocon de neige…

 

Simon est l’être le moins apprécié qui soit. Abandonné à la naissance par des parents qui le haïssent au premier regard, il n’est aimé que de ses chats et de sa sœur Charlotte. Entraîné par une malédiction et les rouages de l’univers dans une aventure qui remet en cause les fondements du monde, il fait la connaissance de l’Étranger, hypostase du Voile, une sorte de dieu vengeur, de Baron Samedi croisé avec le Vieux Georgie de Cloud Atlas (pour les cinéphiles). Cette entité, intruse dans le monde des vivants, gorgée de la haine dont elle se nourrit, apparaît à un Simon étonné qu’on lui adresse la parole sans répulsion – parce que, vraiment, personne n’aime Simon.

 

Non qu’il fût cruel ou difforme. Ni même laid. À vrai dire, il était bien bâti. Mais il dégageait quelque chose. Une énergie, une vibration peut-être. Un je-ne-sais-quoi qui engendrait irrémédiablement chez toute personne qui le côtoyait une haine farouche à son égard.

 

C’est en Nouvelle-Orléans que le sort du duo incongru sera scellé, ainsi que celui de Charlotte, enlevée par le maître malveillant d’une loge maçonnique ancienne, soucieux d’accomplir une obscure prophétie. Mais l’intérêt principal du récit étant son histoire même, mieux vaut ne pas trop en dire.

Car ce n’est pas par le style que ce roman se distingue. Il associe un peu gauchement une narration trop classique (passé simple, imparfaits de l’indicatif et du subjonctif), une ponctuation fréquente qui enclot des phrases trop souvent non-verbales, et une expressivité pour le moins outrancière, contaminée par des personnages orduriers. Pire que tout, il faut souvent s’interrompre dans sa lecture – ou pas – pour aller lire des notes de bas de page. Si ! Loin d’apporter toujours quelque chose, elles sont souvent assez faibles et leur quantité lasse rapidement. On y trouve notamment des explications wikipédiesques dont on se passerait et des remarques et compléments d’informationrévisibles.

Mais en dépit de ses faiblesses, Personne n’aime Simon peut accrocher quiconque se montrerait sensible à ses indéniables qualités de mise en scène et à l’aspect loufoque et étonnamment attractif des protagonistes (pêle-mêle : Papy Belle Gueule ; Santiag l’alligator ; l’énorme Sergent Chochotte ; la poule orangée et dentue, cheffe de bataillon, qui crache des boules de feu.)

 

Un terrifiant cot retentit, de mille gosiers unis.

 

Et si, d’un point de vue purement esthétique, les illustrations de Ludovic Chappex sont sans aucun doute la grande réussite du livre, l’intérêt du récit est ailleurs, et ces illustrations ne seraient pas si prenantes sans l’imagination prolifique de Philippe Battaglia. L’auteur nous plonge dans une course périlleuse et stimulante et, malgré quelques facilités, sauve un ensemble un peu léger par une énergie coléreuse et entraînante, où scintillent de véritables fulgurances.

 

Il s’élança à travers la route, évitant de justesse un taxi jaune qui fit hurler son klaxon et son chauffeur.

Parfois la vie t’offre une cerise sur le gâteau, parfois, elle te balance tout le cerisier dans la gueule.

Il se concentrait sur les ténèbres pour essayer d’en faire jaillir un bruit.

 

On peut être troublé par son dénouement quelque peu obscur, mais il semble clair qu’il s’agit là d’un roman de la haine, de la rancœur renfermée, où les vies se gâchent et les corps se démembrent, mais où Simon le malaimé aura peut-être l’opportunité de déchirer ce voile rouge qui donne au monde le goût du sang.

 

Baptiste Colombara

 

 

Philippe Battaglia, Personne n’aime Simon, L’Âge d’Homme, avril 2019, CHF 24.70, €19.

 

 

Illustrations de Ludovic Chappex. Pour en voir plus sur sa production artistique, rendez-vous sur http://www.ludovicchappex.ch/

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