Écrire les mains brûlées

Ecriture lapidaire. Elliptique. Contre le vide, contre l’oubli. Luttes constantes.

Perdues d’avance.

 

Les combats sont nombreux dans ce recueil poétique signé José-Flore Tappy et paru aux éditions Zoé poche. L’auteure se bat contre ses propres fantômes, contre l’oubli, contre l’ombre, contre le silence. Ces luttes sont internes, profondes, nécessaires. Le chant, le cri de la poétesse est rare et précieux. En effet, ses publications sont espacées : elle a publié 8 recueils depuis 1983. Son écriture répond à la nécessité de l’urgence, elle écrit « les mains brûlées ». On comprend donc le besoin d’accoucher de ces poèmes, pour combler le vide en elle, pour recoller ses débris épars.

José-Flore Tappy nous invite dans son univers paradoxal, peuplé d’oxymores, où des « cris muets » côtoient des vides qui remplissent une nuit vive, de métaphores et d’autres images — « des silences qui pourrissent », de la « lave des rêves », des « avalanches d’oubli ». Ce monde poétique est cruel. Froid. Inaccueillant. Et pourtant, au milieu de cette nature inhospitalière, dans les décombres d’une ancienne usine, au plus profond de la terre, sur des chaînes de montagnes immenses, l’espoir luit, bien présent. Faible. Vacillant. Les mots, s’ils sont porteurs d’espoir, restent faibles face à la force des éléments et se brisent comme de « maigres allumettes ». Le lyrisme du recueil est tendu, prêt à exploser. Les mots sont choisis avec soin et percutent sans arrêt le lecteur. La poésie de José-Flore Tappy c’est l’échec des mots, mais, paradoxalement, c’est aussi la nécessité de passer par ceux-ci pour aller de l’avant, pour ne pas rester seule en arrière, à jeter « bois sur bois dans l’âtre froid ». Chaque mot devient important, porteur de sens, et pourtant ils ne parviendront pas à éclairer l’ombre, à combler le vide.

Les poèmes sont séparés en trois parties, Limaille, Elémentaires, Gravier qui entretiennent chacune des liens avec les autres, dans une sorte de continuité elliptique. Les titres évoquent bien les forces en présence et se réfèrent, pour le premier et le dernier, à des déchets, à des résidus de matières fortes, imposantes, qui semblent pourtant inaltérables. La partie centrale évoque quant à elle les combats permanents de la nature, des éléments primaires : la terre, l’eau, l’air et le feu.

Le recueil présente donc une cohérence interne forte et constitue, de ce fait, une bonne entrée dans le monde de la poésie contemporaine. On a l’impression de lire un roman elliptique où l’on rencontre et recroise des personnages connus — un je, un il et un nous. Les poèmes, sans être transparents, sont suffisamment clairs pour provoquer des échos chez leur lecteur et l’émouvoir. Tantôt les images sont opaques, presque hermétiques, tantôt elles s’éclairent et inondent le lecteur de leur sens profond, de leur réalité. De plus, un avant-propos signé Philippe Jaccottet et une postface de Christophe Carraud éclairent la lecture et donnent des clés pertinentes et nécessaires pour aborder le recueil.

La magie de la poésie opère au sein de ce recueil auquel chacun donnera le sens qu’il souhaite. On peut y lire, entre autres, la fin d’une histoire d’amour, la difficulté d’un nouveau départ, une fable sur le temps qui passe et sur la nature qui triomphe de la civilisation. Les sens sont nombreux et chaque lecteur y rencontrera ses fantômes, ses peurs profondes, mais aussi ses espoirs et ses rêves. En conclusion, on entre facilement dans Hangars, on y comprend certaines choses et on retrouve des sensations, des sentiments connus. Mais Hangars entre aussi facilement dans son lecteur, y laissant quelques résidus. Quelques bribes. Quelques vers. Tout cela aura le temps de mûrir dans son esprit et il pourra revenir, quand il le souhaitera — et quand il se sentira prêt à replonger dans cet univers féroce et sans pitié— sur certains des poèmes qui, j’en suis sûr, prendront encore un autre éclairage.

 

José-Flore Tappy, Hangars, Zoé, 2019, 112 p., 12.90 CHF.

Édition originale parue en 2006 chez Empreintes.

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