C’est un drôle de titre qu’a choisi Jean Billeter pour son dernier livre, à la fois modeste et prétentieux. Est-ce qu’on pourrait s’attendre à une histoire à vocation nationale ? Mais un n’est jamais juste un, puisqu’il implique indirectement tous les autres – toutes les absences – d’une catégorie pointée. Ainsi, avant que cette voix nationale puisse prendre sa forme unanime, elle se trouve déjà anéantie par l’article indéfini venant rappeler sa nature multiple.
Billeter s’est justement dévoué à ce fond multifactoriel de l’expression littéraire. Dans Un roman suisse il donne une voix à tout ce qu’il y a de farouche dans une pensée, tout ce qui fait contradiction dans une vie racontée et tout ce qui reste du palimpseste en littérature.
Au cœur de cette discordance, la voix de l’écrivain. Mais qui ? Il s’agit principalement d’un auteur originaire de Morges mais vivant en France. Le protagoniste est de caractère sec mais franc et nous confie avec sincérité la petitesse de son existence littéraire. Il se considère comme auteur de deuxième classe, et sans autre ambition, il s’y (com)plaît.
Comment ne pas aimer la subtile paranoïa des déboires, des défaillances, des impasses, la poisse, les occasions manquées, la débine, l’abouti, l’incommodité, l’échec, la tristesse, ce qui est noir, morne, avorté ? Seuls les faillis de la vie me vont à l’âme.
Sur la scène réservée aux auteurs, il semble s’irriter contre soi-même et devient presque grotesque face aux questions des journalistes, qui aimeraient s’entretenir avec lui au sujet de la littérature. Mais à ce sujet il ne trouve pas grand-chose à dire.
Une fois mis les phares, assis dans son cabriolet pour rentrer chez soi, il se revitalise. Ces épisodes de fuite sont les moments euphoriques du roman. De longs monologues intérieurs relient les bribes à un ensemble, autrement dit la queue à la tête et Morges à la mer. Le protagoniste qualifie ces tirades de diarrhée verbale. Mais, rassurez-vous, le produit sous nos yeux n’a pourtant rien de désagréable !
Pour la lecture à vive allure, il suffit de se pencher en arrière et de se laisser emporter par la plume de l’auteur. Un voyage stimulant à travers le paysage littéraire, une course à vitesse excessive lors de laquelle on découvre une richesse de détails, souvent insignifiants mais divertissants. Le protagoniste se prononce sur son existence littéraire et nous dévoile des anecdotes surprenantes sur les vrais, grands littéraires. Ainsi, rapprochées et sans transition, ces micro-histoires fragmentaires fusionnent dans un ensemble hétéroclite, quelque chose de désarticulé qui fait la vie d’écrivain :
Ma biographie ce sont mes romans. Des milliers de vies en une, j’ai le vertige du passé. Je suis un être d’encre et de papier égratigné.
Les dernières pages plongent le narrateur dans une molle léthargie, comme si elles correspondaient à sa propre fin. 468 pages d’amusement et d’irritation aboutissent à ces mots : Biographie close, détachée de moi.
Jean Billeter, Un roman suisse, Éditions de l’Aire, 2020, 368 pages, 33 CHF.