Enquête au cœur du monde agricole romand

Avec Faire paysan, Blaise Hofmann nous invite à la rencontre des réalités quotidiennes d’un monde agricole contemporain en plein questionnement et sujet à de profondes mutations. Un récit documentaire prenant la forme d’un exercice de médiation en faveur d’une meilleure compréhension mutuelle entre ville et campagne. 


Au printemps 2021, à la floraison du colza, des chars prenaient feu dans les campagnes : une large frange du monde agricole battait le pavé en dressant à tour de bras, aux abords de leurs cultures, aux alentours des étables, des structures destinées à accueillir de grandes bannières qui clamaient « 2X NON aux initiatives phytos extrêmes ». Dans le même temps, quelques-unes de ces constructions partaient en fumée, provoquant l’émoi des votant‧e·s suisses, peu habitué‧e·s à pareil embrasement du débat politique. Un nouveau chapitre de l’opposition ville – campagne s’ouvrait. 

Fils d’agriculteur ayant gagné la ville avant de revenir vivre à la campagne, Blaise Hofmann n’est ni tout à fait un urbain pour les un·e·s, ni tout à fait un rural pour les autres. Mais la familiarité de l’auteur avec ces deux milieux fait de lui un témoin privilégié de l’incompréhension croissante entre leurs populations. Face à une telle discorde, un vœu – peut-être pieux, celui de contribuer à rétablir le dialogue entre habitant‧e·s de territoires fondamentalement interdépendants qui ne parlent pourtant pas la même langue. Et en guise de fil rouge, l’auteur s’interroge sur ce que signifie « faire paysan » aujourd’hui. 

Sa réponse mêle la grande et les petites histoires. Adoptant une perspective historique pour retracer les nouvelles politiques agricoles d’après-guerre, le développement de l’agro-industrie et de l’agrochimie, il décrit les circonstances ayant conduit à une profonde transformation du paysage rural avec la disparition, rien que dans ces dix dernières années, de quatre exploitations par jour. Blaise Hofmann revient également sur sa propre histoire familiale en terre romande qui débute avec l’installation, peu avant la moitié du XXe siècle sur la Côte vaudoise, d’un grand-père originaire de Suisse alémanique. Dans ce récit qui tient d’une triple identité d’écrivain, de journaliste et de fils d’agriculteur, l’auteur exprime une préoccupation latente, voire une profonde inquiétude : qu’est-ce que sera faire paysan demain et même, en verra-t-on encore ?

De la remise à fourches et boilles à lait au parc de machines high tech, Blaise Hofmann nous fait la visite du monde agricole romand d’aujourd’hui. Vous qui y vivez peut-être, ça se passe près de chez vous. Les localités vous seront alors familières, l’étiquette d’un flacon de chasselas débouché au détour d’une conversation au carnotzet également et vous reconnaîtrez certainement quelques-un·e·s des interlocuteur·trice·s de l’enquêteur ou, du moins, leurs noms. C’est un pan de terroir entier qui défile en deux-cents pages. 

Faire paysan est un récit documentaire qui frappe par son authenticité. Celle d’un métier millénaire qui, en dépit des a priori, évolue à vive allure et constitue un véritable terrain d’innovation. On y découvre la réalité d’une profession bien plus administrative qu’on ne saurait l’imaginer – les revenus de la terre en dépendent aujourd’hui – et où le ou la paysan·ne se mue toujours davantage en gestionnaire à la tête d’exploitations de taille croissante. L’auteur raconte les dures réalités du milieu agricole contemporain (les faillites, les suicides), mais aussi une profession de passionné·e·s qui perpétuent un savoir-faire et plus encore, l’amour du métier. Un tableau polychrome qu’il souhaite sans noirceur ni lyrisme, où les descriptions de villages presque désaffectés des suites de la disparition de la vie agricole et du bétail, côtoient les visites d’entreprises en mains d’exploitant‧e‧s visionnaires qui marchent avec leur temps.

La parution de Billet aller simple nous avait fait découvrir Blaise Hofmann écrivain voyageur de la première heure. Peu après, avec Estive, nous nous étions déjà laissé·e·s conduire par lui dans la ruralité et, plus récemment, il a participé à la célébrer lors de la dernière Fête des vignerons. Faire paysan tient un peu de tout cela, c’est un voyage au coin du pré, vous n’y êtes encore jamais allé‧e, en voici l’occasion ! Une valorisation toute en nuance du monde agricole qui, non dénuée d’un regard critique sur quelques-uns de ses archaïsmes, nous rappelle avec conviction et subtilité que l’agriculture et l’entretien de nos paysages ne s’improvisent pas. Des propos dans lesquels se reconnaîtront certainement ces ni tout à fait ruraux, ni tout à fait urbains, ceux et celles qui de proche ou de loin ont aussi l’impression d’avoir posé·e·s « les fesses entre une chaise et un botte-cul ». Reste à souhaiter que ces paroles ne trouvent pas seulement grâce aux oreilles des convaincu‧e‧s, au risque de demeurer lettre morte. 


Blaise Hofmann, Faire paysan, Chêne-Bourg, Éditions Zoé, 2023, 224 pages, 25 CHF.


Crédits de l’image : pixabay.com

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