Une réflexion futuriste trop complexe ?

Quelles images les mots « Le grand enfouissement » évoquent-ils dans votre imaginaire ? Le titre du livre, en français, laisse une certaine marge d’interprétation, tandis que l’intitulé original allemand, « Tiefenlager », utilise un terme technique qui fait référence au stockage des déchets nucléaires. Cependant, le roman d’Annette Hug traduit par Camille Luscher, surprend par une approche peu conventionnelle : au lieu des scénarios d’explosion, de destruction et d’imageries similaires à Tchernobyl auxquels on pouvait s’attendre, il tourne autour de cinq personnages qui décident de créer un monastère. 

En reliant une thématique à la fois politique et scientifique à une structure d’inspiration religieuse, le roman révèle sa force. Il en va de même avec les cinq protagonistes de ce livre : Céline, Anatole, Kurt, Betty, et Petra viennent tous de cultures diverses et d’autres contextes familiaux, ils apportent des expériences différentes qui seront mises ensemble. Après avoir vécu chacun un échec dans leur vie, tous les cinq sont maintenant prêts pour une nouvelle tâche. Leur retraite est encore loin, et ils veulent faire quelque chose – mais de manière calme et réfléchie. D’où leur décision de lancer, non un mouvement politique, mais de créer un monastère d’un nouveau genre.  

Surgit alors la nécessité de trouver un langage commun. On ne sera pas étonné de trouver dans ce roman un mélange babélique de langues, avec par exemple des bribes de Suisse-Allemand et de Chinois. Finalement, Annette Hug fait naître une réflexion autour des déchets nucléaires et le futur à plusieurs voix (et langues), d’un engagement collectif entre les personnages, mais qui se retrouvent unis dans ce roman, dans un monastère dont le procès de fondation est retracé. La tâche de traduire un tel texte multilingue en langue française n’a pas dû être facile et a certainement demandé beaucoup d’investissement et de sensibilité aux jeux de mots non seulement allemands. Mais après la lecture des deux textes, il faut dire que la traduction de Camille Luscher est très réussie.

Le résultat est un roman d’une richesse extraordinaire, dont la structure semble vouloir imiter celle de la ville de Hong Kong : le texte lui-même devient alors une sorte d’objet hyper-condensé, avec des structures chronologiques, spatiales, narratives et linguistiques multiples. Et c’est plus élaboré encore, puisque dans ce récit-cadre sont insérés des récits où chacun des personnages raconte une histoire possible du futur. Il faut donc se préparer à une lecture complexe ! Si après 20 pages vous ne savez pas encore où le livre va vous mener, c’est normal. Aussi, il n’est pas rare que ce qui a été dit ne prenne sens que quelques chapitres plus loin, et parfois l’impression persiste que l’on ne va jamais tout comprendre. Pourtant, il est tout à fait possible de s’étonner des jeux d’opposition et des liens et allusions dont le texte est parsemé. Le roman pousse à plusieurs lectures et, à chacune d’elles, il est possible d’observer d’autres enchaînements, d’autres jeux de mots qui au fur et à mesure invitent à la réflexion personnelle. Il revient donc à la lectrice et au lecteur de donner du sens à ce qu’il vient de lire et de continuer ses raisonnements : Que se passera-t-il dans les années à venir ? À quoi faut-il réfléchir ? Jusqu’où réfléchir ?


Annette Hug, Le grand enfouissement, traduit par Camille Luscher, Genève, Éditions Zoé, 2023, 256 pages, 32 CHF.


Crédits de l’image : https://printler.com/de/poster/101915/

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