La chute de la civilisation à travers les yeux d’une plante psychotrope

La civilisation est tombée et avec elle se sont emportés tous les conforts du quotidien : eau chaude de la douche, téléphones portables ou même la diversité des produits dans nos centres commerciaux. La faute aux « mercenaires de Poutine », aux « vagues successives de pandémies » et à « l’imminence d’une crise climatique »,  l’histoire post-apocalyptique dans laquelle Antoine Jaquier nous emmène décrit la vie de  Salvatore qui, sentant venir la fin du monde, s’est retranché dans une ferme isolée dans les Vosges. Il va pourtant rapidement se rendre compte qu’il n’est pas seul et que cette ferme et ses ressources attirent quelques convoitises. Mira, sorte d’enfant sauvage muette élevée par la violence d’un monde fini, et Alix, « jeune personne au genre fluide » qui par on ne sait quel miracle survit à cette chute de la civilisation, s’immiscent dans la vie du survivaliste. Rapidement, une mission va les appeler à quitter la ferme : aller chercher le petit frère de Mira, qui est tenu prisonnier dans une maison de l’horreur habitée par des Slaves shootés aux stéroïdes. Dans leur périple, ils prennent un chamane en otage et lui subtilisent tout son stock d’ayahuasca. Cette plante, qui mènera les personnages à travers plusieurs trips toxico-spirituels, sera également la raison de leur séparation. Un récit entre balles dans la tête, drames et tensions sexuelles qui questionne sur notre bien-être mental et sur une nature que l’on ne respecte plus, mais qui ne demande qu’à reprendre son pouvoir souverain.

L’histoire écolo-psycho-apocalyptique d’Antoine Jaquier nous tient en haleine dès les premières pages et ses problématiques très actuelles nous gardent scotchés au livre. Représentation de l’autre, définitions et violences sexuelles, pro- ou anti-survivalisme, le début du roman oscille entre le sérieux de ses thématiques et la légèreté du style de Jaquier. Son style, (presque trop) orné de pop-culture, permet de nous identifier à Salvatore et de nous mettre au diapason avec ses raisonnements d’homme du XXIème siècle. Dans la deuxième partie, en revanche, on ne comprend pas trop où Jaquier veut en venir avec son histoire qui ne semble désormais tourner qu’autour de l’ayahuasca.  Les trips provoqués par sa consommation prennent trop de place dans le roman, qui devient un quasi-guide chamanique, et nous perdent dans des explications semi-surréalistes quelque peu surfaites :

Forçant l’œsophage de Mira, la gueule du monstre, dont je ne voyais jusque-là poindre que le museau, déchira les joues de ma petite protégée sur son passage. […] La silhouette qui glissa hors de l’enveloppe charnelle de Mira était celle d’un anaconda gigantesque aux écailles humides et brillantes, coloré dans des tons vert foncé, dégoulinant d’une lubrification gluante et filant pour disparaître dans le premier interstice du plancher qu’il trouva dans la pièce. 

La consommation de drogues est pourtant une des grandes thématiques de Jaquier qui, à l’image de son premier roman – Ils sont tous morts –, place ce thème au centre de son récit. Au lecteur d’apprécier, ou non, les effets de l’ayahuasca sur cette histoire.

L’antithèse thématique et stylistique de la première partie devient une hyperbole de la consommation d’ayahuasca où l’on risque de perdre de vue l’histoire et ses personnages.  Malgré la perte d’affinité avec la fin du roman, le livre que l’on tient en main est,  esthétiquement parlant, un bijou. L’histoire de son côté, avec une bonne rondeur, finit par ne pas avoir la longueur en bouche qu’elle aurait mérité.


Antoine Jacquier, Tous les arbres au-dessous, Vauvert, Au Diable Vauvert, 2023, 272 pages, 32 CHF.


  

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