Assemblage de copies

Un groupe de scientifiques, un conglomérat et ses ouvriers, une société : tous travaillent sur de mystérieuses chutes de pierres. La pluie de cailloux devient averse mortelle. Elle écrase des voitures, détruit des maisons, tue des êtres humains et troue le monde.

Cette pluie de météorites à l’allure de récit apocalyptique sert d’alibi à un groupe de grands hommes, de dirigeants et de scientifiques qui creusent, toujours plus, sans donner de réponse. Bien qu’on leur crie d’en donner, qu’on leur envoie des lettres. Qu’importe, ils font la sourde oreille et forent, creusent, fondent, calculent, mesurent dans un but qu’ils gardent secret. De nombreuses familles sont touchées, physiquement mais également psychiquement par la chute de pierres venue du ciel. Mais finalement, quelle est l’origine de ce qui est arrivé ? L’intrigue reste très opaque car le ton est allusif. 

Le livre donne à voir, à toucher (car oui les pages changent parfois de grammage), à réfléchir, à investiguer. Chaque détail compte, ou pas ? Il est difficile de savoir si les allusions en sont réellement. (Des illusions ?) Qu’importe, la majorité des reproductions aux tons bleus blêmes (comme le monde qu’elles dépeignent) sont là pour raconter et pour bousculer, on le comprend au fil de la lecture. De plus, la construction de l’ouvrage vaut le détour, c’est un objet un peu étrange fait d’une constellation de peintures aux couleurs métalliques et d’une plume sans fioritures, mais parsemée de listes. 

L’objet est né de la rencontre entre deux artistes. D’abord, Nicolas Fournier fait des copies de photos trouvées sur le net, dans la presse, mais aussi de clichés qu’il a photographiés lors de rencontres entre scientifiques. Un art de réappropriation, une réutilisation tout en subtilité, qui ne se revendique pas comme original mais qui cherche à venir toucher lecteurs et lectrices par association, créant des réminiscences dans les esprits. 

Puis, Antoine Jaccoud qui s’empare de ces images. Il intensifie le lien entre toutes ces représentations au travers du texte qu’il écrit, s’approprie la constellation de copies que lui propose Nicolas Fournier. Images et textes sont agencés et connectés comme les pièces d’un mécanisme complexe.  

L’urgence écologique par allégorie défile en boucle devant les yeux du lecteur ou de la lectrice et fait tourner les pages, de plus en plus vite, créant ainsi un sentiment d’urgence. Le ton est alarmant et donne une forme matérielle, visuelle à l’inquiétude qu’éprouve la jeune génération face à ces aînés qui ne semblent pas se rendre compte que l’univers est en train de se désagréger, de se trouer, alors que personne ne fait rien. Nous sommes derrière une vitre à observer les bras croisés. 

Antoine Jaccoud et Nicolas Fournier interrogent, s’interrogent et veulent que l’on s’interroge avec eux. Et cela fonctionne. Le flux de leur pensée est de plus en plus fort, il s’accentue au fur et à mesure de la lecture. Les trous, les lacunes et les difficultés s’accumulent dans un crescendo narratif. 

Les sujets sont innombrables. L’objet questionne, m’a questionnée, vous questionnera. Fiction et réalité s’entremêlent et se reflètent. 

La grande force d’Après l’a-verse est donc de questionner.

Il avance qu’il faut chuter, tomber, casser les codes, renverser.

Alors si vous avez envie de réfléchir, je vous invite à le regarder de plus près. 

Et à vous, qu’est-ce que cet ouvrage vous fera ?


Nicolas Fournier et Antoine Jaccoud, Après l’a-verse, Tableau de la catastrophe, Genève, Art&fiction, 2023, 189 pages, 37 CHF.


Crédits des images : Nicolas Fournier et Antoine Jaccoud, Après l’a-verse, Tableau de la catastrophe.

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