Tribulations solitaires d’une apprentie lausannoise

Elle est seule maintenant. Je la cherche. J’aimerais lui parler, retrouver les émotions, les pensées qui l’habitaient ce jour-là. Mais rien. Elle a passé ces premières années à regarder autour d’elle comme un touriste égaré. Peut-être vais-je enfin savoir qui elle était. Comprendre pourquoi elle est restée paralysée sur le seuil de la vie, incapable d’y entrer pendant tant d’années. De quoi avait-elle peur ? Je ne sais pas.

Marie ne connaît rien ni personne à Lausanne, la ville dans laquelle elle doit entreprendre ses études. Tout juste arrivée de France, elle n’a qu’une adresse lui indiquant le lieu d’une pension et quelques affaires ; elle est égarée, isolée dans ce nouvel environnement qui va l’accompagner tout au long du texte, enfermée dans une sorte de bulle. C’est sur cette représentation d’une jeune fille désorientée face à l’inconnu que s’ouvre le roman de Madeleine Knecht Zimmermann, Des rues et des chansons. Nous voilà en 1961, arpentant avec Marie la capitale vaudoise et nous traversons avec elle la décennie, découvrant avec elle la musique, les évènements internationaux et les changements sociaux qui marquèrent cette décennie. 

Le travail d’archéologie du soi que l’autrice a effectué pour son ouvrage l’amène à entreprendre une enquête sur ses années d’études. À travers Marie, et dans une écriture mêlant réflexions intimes et narration, l’écrivaine relate sa jeunesse et s’interroge sur l’isolement dans lequel elle vivait, sur son habitude de fuir les relations et de s’enfermer dans ses études ou, plus tard, dans son travail d’institutrice. Cette quête personnelle d’un soi révolu, perdu dans le passé et mû par une altérité que l’autrice ne s’explique pas, nous présente ainsi une jeune introvertie dans la ville de Lausanne, au temps du « yéyé ».

Il convient de saluer le travail que l’écrivaine a effectué pour faire revivre dans son ouvrage la décennie de sa jeunesse. Des nouvelles tendances en termes de coiffure aux évènements de Mai 68, à travers autant de citations musicales, mentions des changements de consommation, récits de manifestations pour la paix ou encore le sentiment de désillusion d’une génération confrontée à l’aspect rigide d’une société bâtie sur un certain conservatisme, l’autrice ancre son texte avec talent dans cette époque. 

Mais pourquoi ce récit est-il parfois terne et ennuyeux ? Marie, cette étudiante modèle cloîtrée dans ses lectures, deviendra une institutrice dévouée à ses élèves. Certes. Mais à aucun moment, elle ne fait de remous : il y a peu ou pas d’action, uniquement des années de solitude qui se découvrent au fil des pages. La traversée des Sixties cède alors la place à une plongée dans l’isolement de la jeune femme. Le contraste est saisissant entre l’inertie dont Marie fait preuve et le monde qui évolue peut-être trop vite pour elle qui s’enferme au contraire dans sa solitude. Ce qui finit par nous donner l’impression d’un roman figé, incapable de faire comprendre l’époque mouvante qu’il documente pourtant si bien. 


Madeleine Knecht-Zimmermann, Des rues et des chansons, Vevey, éd. de l’Aire, 2020, 244 pages.

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