Les mouettes ne crient plus, elles chantent

« Lorsqu’elles se frôlent, certaines solitudes ont beaucoup à se dire. »

     Le titre du dernier roman de Pier Paolo Corciulo, Le cri des mouettes, paru aux éditions PLF, promettait avant la lecture la mer et des vagues, ainsi que des airs d’Italie, qui font écho aux racines de l’auteur. Après son recueil de poésie franco-italienne Les Nuits ailleurs, qui lui fait remporter le prix « Salve nosciu » en 2013, Pier Paolo Corciulo déploie dans son dernier récit les thèmes de la quête de l’identité, de l’oubli et de l’errance. Et si la quatrième de couverture ne promettait rien, l’on est agréablement conquis par la tournure du récit, qui se lit comme un livre de voyage. Dans ce roman, on retrouve effectivement le sud, et on s’imagine y être, au bord de la mer, sous le soleil. C’est ce que l’on ressent à la fin de l’histoire, mais encore faut-il y arriver, car les remous de la première partie laissent quelque peu désemparé.

     L’histoire en elle-même est simple : le narrateur, Adrien, se réveille seul d’un coma, sans rien d’autre qu’un recueil de poésie italienne d’un dénommé Alessandro Lipari. Il a perdu la mémoire, et à travers cette perte, ce sont toutes ses envies, son passé et finalement sa raison de vivre qui ont disparu avec son identité. Son seul soutien, c’est ce livre de poésie dont les vers parlent à son âme et semblent vouloir le transporter ailleurs – vers la bonne destination ? En recherchant des informations sur l’auteur, c’est son identité à lui qu’il retrouve lorsqu’il entre dans une librairie. Le récit bascule à mesure que la mémoire lui revient, dont le premier souvenir est la noyade de sa femme. Et si le gouffre du deuil l’emporte à nouveau, il n’a pourtant pas récupéré tous ses souvenirs. Il se décide alors à partir pour l’Italie, à la recherche du poète mystérieux.

     C’est notre principal regret, mais il n’est pas bien grand : il faut un certain temps pour entrer dans le récit. Le début est d’un style inégal, lent comme les premières pages, laissées intentionnellement presque blanches pour symboliser cette perte de mémoire, ce vide entretenu tant par la perte des souvenirs d’Adrien que par la disparition de sa femme. Entre les questionnements sans fin, le fouillis des pensées du narrateur et sa détresse, qui sont à l’image de ses déambulations dans les ruelles de Neuchâtel, le lecteur reste déboussolé. Mais quand vient le temps où, enfin, le narrateur se décide à partir pour le sud, nous sommes plus qu’heureux d’embarquer avec lui à bord du train Lausanne-Milan. Le soleil arrive enfin, et il vient réchauffer les phrases de Corciulo, qui se délient et trouvent un rythme plus agréable, plus doux, car l’espoir pointe peu à peu. Mais si Adrien croit que trouver l’auteur lui apportera des réponses, nous savons ce qu’il recherche : ce n’est pas tant retrouver ses souvenirs qui importent, mais la façon dont il parviendra à les affronter, pour enfin vivre en paix. 

     Le cri des mouettes, c’est finalement l’histoire assez simple et belle, d’une rencontre de deux hommes à qui la vie a tout pris. Lipari était autrefois un jeune poète plein d’avenir, mais il est à présent un vieux Lupo di mare… Car dans la solitude, « l’absence s’écrit mais ne se crie pas ». Leur rencontre, dans ce petit port des Pouilles, les sauve. Ce récit, c’est comprendre que lorsqu’on tombe, on peut tomber bien bas ; mais finalement, à toucher le fond du gouffre, on comprend qu’il nous est possible de remonter de là. Ce sursaut de vie trouve son élan premier dans la poésie, qui parvient à faire respirer à nouveau Adrien et Lipari : 

« Je dis souvent que la poésie est chose désuète, qu’elle est dépassée de mode, et que le monde d’aujourd’hui n’en tient plus compte […] Mais si la poésie permet à une personne de retrouver sa voie au milieu du brouillard, si la poésie permet de se réconcilier avec soi-même et de reprendre goût à la vie, si la poésie sert à tout cela même pour une seule âme, alors peut-être est-elle encore utile ? »

Le cri des mouettes raconte une série de quêtes, celle de l’identité d’abord, mais aussi du sens de la vie, de la famille, et de la redécouverte de l’amour. Et puis finalement, « lorsqu’elles se frôlent, certaines solitudes ont beaucoup à se dire ». Et c’est ce qui se passe. Roman sensible aux airs de poésie, la fin laisse le lecteur rêveur, et de nouveau confiant en la vie.


Pier Paolo Corciulo, Le cri des mouettes, Fribourg, PLF, 2022, 132 pages, 20 CHF.

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